Quatre voies du datajournalism

Le 7 avril 2010

Le datajournalism ou journalisme de données, peut difficilement se résumer à un type de contenus ou à un type de démarche. Il requiert des compétences spécifiques, selon l'usage qui en est fait.

J’ai eu l’impression, ces derniers jours, de répéter plusieurs fois la même chose à des personnes différentes (ce qui est un vrai plaisir quand il s’agit de datajournalism). D’où l’idée d’articuler ici ces quelques éléments récurrents.

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Photo CC par Ian-S sur Flickr

Finalement, le datajournalism ou journalisme de données, peut difficilement se résumer à un type de contenus ou à un type de démarche. J’ai identifié quatre dimensions, et pour chacune les compétences nécessaires à sa mise en œuvre :

1-COMPRÉHENSION : le datajournalism permet de mieux comprendre le monde.

Pour cette visualisation des succès au box office américain depuis 1986, l’équipe du nytimes.com a particulièrement travaillé sur la forme des courbes, et leur couleur.

Le datajournalism, c’est de la visualisation d’information. C’est une des composantes du traitement rich media (tel que le définit Alain Joannes), une des applications du journalisme visuel. Dans cette première logique, le datajournalism permet de faire comprendre par l’image certaines idées bien mieux que ne le feraient des mots.

Le datajournalism fait ici appel aux compétences des graphistes et aux connaissances en sémiotique visuelle ou en sémiologie graphique : pour que chaque forme et chaque couleur fassent sens instantanément.

Pour faire comprendre une affaire d’espionnage politique à Madrid, elpais.com a mis au point une visualisation animée et interactive.

Mais le datajournalism va au delà de l’infographie car il ne s’adresse pas uniquement à l’intelligence visuelle, il travaille également sur l’intelligence cinétique. En datajournalism la visualisation est forcément interactive. Elle doit permettre à l’internaute de jouer avec les données, de manipuler la visualisation. Plongé dans une posture active, l’usager appréhende et mémorise plus facilement l’information.

La datajournalism ne pourra donc pas se passer des compétences d’un interaction designer. Ni de celles d’un ergonome.

2.PERSONNALISATION : le datajournalism permet de personnaliser la vue sur le monde

Gapminder permet de visualiser à la demande les relations entre différents indicateurs statistiques mondiaux.

Le datajournalism, c’est aussi de l’information à la carte. Un des moyens de répondre à la fragmentation des audiences.

La visualisation de données consiste à bâtir une interface graphique pour accéder à une base de données. Cela permet bien sûr de proposer un aperçu de gros volumes de données, d’en faire jaillir le message essentiel.

Mais cela ouvre également la possibilité d’interroger n’importe quelle partie de cette base de données, et de la rendre accessible et compréhensible instantanément. Ainsi, une des dimensions de l’interactivité consiste à rendre la visualisation librement paramétrable.

Une application de datajournalism peut alors répondre à toutes les attentes particulières des internautes autour d’un thème d’information.

Les savoir-faire d’un architecte de l’information deviennent ici utiles.

3.INVESTIGATION : le data journalisme permet d’éclairer autrement le monde.

En analysant un document de 458 000 pages sur les notes de frais des députés britanniques, le Guardian a révélé des abus dans l’utilisation des fonds publics britanniques.

Le datajournalism est également un outil d’investigation. Les bilans de la Cour des comptes, les rapports du FMI, les statistiques de l’OCDE, etc., contiennent énormément de matériaux pour le journalisme d’investigation. Seulement, il faut savoir faire parler ces données.

C’est-à-dire qu’il faut prendre le temps de les lire, qu’il faut savoir les interpréter, qu’il faut des outils pour appréhender des tendances à partir de gros volumes de données, qu’il faut avoir l’idée de croiser une base de données avec une autre, etc., pour faire apparaître des informations jusque-là ignorées.

Interroger les données plutôt que les témoins est un art encore très délaissé par les médias français. Peut-être parce que cela suppose d’emprunter des outils et des méthodes aux sciences (voir l’article de RWW France) : pour extraire de l’information d’immenses bases de données, il n’y pas d’autres moyens que de construire des modélisations, que d’utiliser des outils de gestion de la complexité.

Impossible de réaliser ce genre d’investigation sans statisticiens.

4.PARTICIPATION : le datajournalism permet de participer à la description du monde

Avec l’aide de 200 internautes, l’équipe d’Owni.fr a géolocalisé les bureaux de votes français et a rendu cette base de données gratuite, ouverte et libre.

Enfin, le datajournalisme suppose parfois de faire appel au crowdsourcing pour collecter les données et pour les qualifier.

Lorsque la base de données n’existe pas, lorsqu’il est matériellement impossible qu’un petit groupe de personnes collecte toutes les données sur un sujet, la force du datajournalism réside dans sa capacité à fédérer la participation des internautes pour obtenir des données à faire parler.

Cela nécessite un gros travail d’animation de communauté.

Il faut encore mentionner deux compétences indispensables au datajournalism, et transversales à ces quatre dimensions.

Tout d’abord les savoir-faire des développeurs. Développeur axé back office et data, pour construire et gérer les bases de données, mais aussi développeur axé animation, flash, et front office.

Et pour finir, pas de datajournalism sans travail d’éditorialisation.

Par éditorialisation j’entends : problématisation, inscription dans le débat public, storytelling, hiérarchisation, définition d’un angle de traitement de l’actualité et d’un message à délivrer. Vous remarquerez que l’esquive volontairement la référence au journalisme.

Je suis persuadée qu’il n’y a pas besoin de se définir comme journaliste pour être capable de remplir ce rôle d’éditorialisation.

Maintenant, est-ce que ce travail d’éditorialisation est du journalisme? Je vous laisse en débattre.

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