OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Trévidic : “Le jihad n’a pas attendu Internet” http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/ http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/#comments Wed, 30 May 2012 19:43:42 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=111905 "Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens", nous affirme le juge Marc Trévidic. Owni s'est entretenu avec le magistrat du pôle antiterroriste sur les réalités du cyberjihad.]]>

Le juge Marc Trévidic à Paris en novembre 2010. Portrait par © Marc Chaumeil / Fedephoto

22 mars. Mohamed Merah abattu par les hommes du Raid, Nicolas Sarkozy fait une déclaration depuis l’Elysée : la consultation de “sites internet qui font l’apologie du terrorisme” sera dorénavant sanctionnée. Un projet de loi a depuis été déposé au Sénat. Le cyberjihadisme fait une entrée fracassante dans l’agenda politique et médiatique.

Owni a voulu recueillir l’analyse d’un magistrat familier de ces affaires. Marc Trévidic est juge d’instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris, seule juridiction compétente en matière terroriste. Il s’est spécialisé sur les dossiers jihadistes en plus de quelques autres gros dossiers (Karachi, Rwanda, moines de Tibéhirine). Il revient ici sur l’utilisation d’Internet par les jihadistes, le cyberjihadisme ou “jihad médiatique”, nouvel avatar de la menace terroriste selon les acteurs politiques.

Comment a émergé le cyberjihad ? Est-ce, comme certains l’analysent, lié à la perte du territoire afghan en 2001 qui a entraîné un repli des jihadistes sur une autre base arrière ?
La loi contre les web terroristes

La loi contre les web terroristes

Le projet de loi sanctionnant la simple lecture de sites Internet appelant au terrorisme devrait être présenté demain en ...

Le conflit irakien a surtout servi de déclencheur, plus que la perte de l’Afghanistan en 2001. Les jihadistes ont très vite perçu le profit qu’ils pouvaient tirer du réseau. D’abord, l’intervention anglo-américaine était illégitime du point de vue du droit international public. Ensuite, ils ont pu utiliser les exactions commises par l’armée américaine, comme à Abou Ghraïb par exemple. Des brigades, armées de caméra, cherchaient à obtenir ce genre d’images pour les diffuser ensuite sur Internet. Le début du cyberjihad commence donc plus avec l’Irak qu’après la chute du régime Taliban. En Irak, le djihad était mené à 100%, dans les villes et sur Internet.

Quel est le rôle du cyberjihad ?

Le principal objectif est la diffusion de la propagande, puis le recrutement. Lors du conflit irakien, les jihadistes menaient un double conflit majeur, à la fois contre les soldats de la coalition anglo-américaine et contre les chiites. Ils avaient donc besoin de beaucoup de troupes et de chairs fraiches.

Dominique Thomas, chercheur spécialisé sur les mouvements islamistes radicaux, parle de la volonté de créer des sphères de sympathisants, plutôt que de recrutement.

L’idée est de sensibiliser une population radicale. Au sein de cette population peut émerger un candidat au jihad. C’est une guerre de l’information, les cyberjihadistes parlent souvent de “réinformation”. Le volet recrutement existe aussi, pour envoyer des gens sur le terrain faire le jihad.

“Les loups solitaires”, entièrement isolés, formés sur Internet, existent-ils ?

Dans toutes les affaires que je connais, les protagonistes sont toujours en contact avec d’autres. Ils rencontrent d’autres jihadistes, se connaissent entre personnes de la même mouvance. Je n’ai pas connaissance de cas de terroriste islamiste entièrement isolé. C’est un petit milieu ! Tout le monde se connait.

Cyberjiadhistes et jihadistes sont-ils les mêmes personnes ? Ont-ils des profils différents ?

Tous sont cyberjihadistes. Le passage à l’acte, les départs sur zones sont extrêmement minoritaires. La radicalisation est progressive : la radicalité des jihadistes varie selon leur situation. Ils ne tiennent pas les mêmes discours avant le départ, pendant leur séjour sur zones et à leur retour. Le jihad n’a pas attendu Internet. Dans les années 1990, les filières d’acheminement de combattants en Afghanistan se développaient sans utiliser Internet.

Le milieu des années 2000 semble être l’apogée des sites liés au jihad. Certains étaient très connus, comme Minbar ou Ribaat, et des figures proéminentes s’en occupaient, notamment Malika El Aroud et son mari Moez Garsallaoui.
Le bug du cyberjihad

Le bug du cyberjihad

Nicolas Sarkozy est parti en croisade contre les sites Internet terroristes. Mais une instruction ouverte dès 2010 ciblait ...

Le nombre de sites a explosé après la guerre en Irak. L’utilisation d’Internet s’est codifiée. Le Global Islamic Media Front est chargé de contrôler et d’authentifier le contenu diffusé sur les sites avec le label d’Al-Qaida. Mais la vivacité des sites dépend du contenu qui arrive du terrain. La concurrence entre les sites crée de l’émulation. C’est la loi de la concurrence ! De cette émulation naît de la radicalité. Les sites apparaissent, se multiplient avec le conflit irakien et deviennent de plus en plus radicaux dans la propagande qu’ils diffusent.

Internet apparaît dans presque toutes les affaires, comme moyen de communication entre les jihadistes. Jusqu’à maintenant, un caractère opérationnel était toujours observé dans ces échanges. L’aide matérielle est présente dans toutes les affaires.

Le projet de loi présenté par l’ex gouvernement [Fillon], changerait ce principe en pénalisant la consultation de sites terroristes.

Il faudra définir la liste des sites terroristes, ceux qui posent certains problèmes. La définition repose sur le trouble grave à l’ordre public à même de semer la terreur [Définition des actes terroristes dans le code pénal français, NDLR]. Il faudrait plus généralement poser la question de l’influence des images violentes diffusées à la télévision ou sur Internet. Ce n’est pas parce qu’une personne joue à Call of Duty 4 ou 5 qu’elle va devenir folle et tuer des gens ! Le passage à l’acte à cause de jeux vidéo violents est marginal, si marginal qu’aucun enseignement ne peut être tiré à cette marge.

Le cyberjihadisme, dans son volet de propagande, doit-il sortir du champ de l’antiterrorisme ?

Comme je l’ai signalé à l’occasion de mon audition au Sénat, l’utilisation de la qualification terroriste, et des moyens afférents, a explosé, souvent à mauvais escient. Il y a deux problèmes différents : sensibiliser la population au risque de la violence diffusée notamment sur Internet d’une part, et lutter contre les actes terroristes d’autre part.

Capture d'écran de Call of Duty Modern Warfare 3


L’entretien avec Marc Trévidic a été réalisé le 2 mai 2012.
Portrait de Marc Trévidic par © Marc Chaumeil / Fedephoto / Capture d’écran de Call of Duty CC by-nc-sa psygeist

]]>
http://owni.fr/2012/05/30/marc-trevidic-le-jihad-na-pas-attendu-internet/feed/ 4
Les 300 000 morts de la guerre contre le terrorisme http://owni.fr/2011/05/02/les-300-000-morts-de-la-guerre-contre-le-terrorisme/ http://owni.fr/2011/05/02/les-300-000-morts-de-la-guerre-contre-le-terrorisme/#comments Mon, 02 May 2011 17:08:29 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=60612

Les attentats du 11 septembre 2001 avaient fait 2 996 victimes, dont 343 sapeurs-pompiers, et 59 policiers, venus secourir les victimes enfermées dans les tours du World Trade Center. La guerre contre le terrorisme lancée par George W. Bush Jr a, elle, entraîné la mort d’au moins 227 000 personnes, ou plus de 300 000 selon d’autres estimations, dont 116 657 civils (51%), de 76 à 108 000 islamistes, insurgés ou talibans (34-36%), 25 297 soldats des forces loyalistes en Irak et en Afghanistan (11%), et 8 975 soldats américains, britanniques et autres nations de la coalition (3,9%).

Voir aussi la visualisation dont s’est inspirée Loguy, et le fichier contenant ces chiffres.

En se basant notamment sur les documents rendus publics par Wikileaks, le Guardian avait estimé, en octobre 2010, à 109 032 le nombre de civils et militaires tués en Irak entre 2004 et 2009, dont 66 081 civils, 23 984 ennemis, 15 196 soldats irakiens, et 3 771 soldats de la coalition.

Mais ces chiffres ne prenaient en compte que les seuls morts documentés dans les rapports de la coalition. icasualties.org a ainsi, de son côté, répertorié 4770 soldats de la coalition (dont 4452 Américains et 179 Britanniques) morts au combat, en Irak, depuis 2003, et 2441 (dont 1566 Américains, 364 Britanniques, et 56 Français) en Afghanistan, depuis 2001.

Il faut aussi y rajouter, pour l’Irak, 16 595 soldats des forces de sécurité irakiennes post-Saddam), 1764 contractants privés, 1002 Sahwa des Fils de l’Irak (force supplétive de l’armée irakienne), ainsi qu’entre 38 778 et 70 278 morts du côté soldats irakiens pro-Saddam et des insurgés.

Du côté de la guerre en Afghanistan on dénombre également plus de 7500 morts du côté des forces de sécurité afghanes, 200 au sein de l’Alliance du Nord, et plus de 38 000 talibans et insurgés.

100 000, ou 1,4 M de civils morts en Irak ?

Mais le plus grand nombre de décès est à chercher du côté des civils. Iraq Body Count a ainsi documenté entre 100 et 110 000 civils morts de façon violente, depuis 2003 (à quoi il conviendrait de rajouter 15 000 civils morts mentionnés dans les warlogs publiés par WikiLeaks).

Une étude publiée dans la revue médicale The Lancet, avait de son côté estimé à 654 965 le nombre de morts entre 2003 et 2006, soit 2,5% de la population irakienne, ce qui laisserait à penser que le chiffre serait aujourd’hui, mis à jour, de 1.455.590 morts Irakiens.

Just Foreign Policy - Morts irakiens dus a l'invasion U.S.Si les chiffres publiés dans The Lancet ont été controversés, les estimations portant sur le nombre de victimes de la guerre en Irak varient de 100 000 à plus d’un million.

En Afghanistan, le nombre de civils tués depuis 2006 ne serait “que” de 9759, dont 6269 tués par les forces anti-gouvernementales, et 2723 par la coalition ou les soldats de l’armée régulière, d’après l’ONU, à quoi il conviendrait de rajouter entre 6300 et 23 600 civils morts directement, ou indirectement, du fait de la guerre entre 2001 et 2003.

Voir, à ce sujet, cet extrait de Rethink Afghanistan documentaire de
Robert Greenwald, connu pour ses films sur Fox News ou l’administration Bush :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La guerre au terrorisme ? 1 283 Md$

Au total, la guerre au terrorisme aura coûté, depuis 2001, 1 283 milliards de dollars pour les trois programmes principaux de la guerre contre le terrorisme : l’opération Enduring Freedom en Afghanistan, l’opération Iraqi Freedom en Irak et l’opération Noble Eagle visant à renforcer la sécurité des bases militaires.

Ce dernier programme est surtout mené pendant les premières années de “la guerre contre la terreur“. Le coût de la guerre suit les grands dynamiques des deux conflits. Le désengagement irakien se répercute largement dans le budget alloué : il passe de 142,1 milliards à 95,5 milliards de dollars entre l’année fiscale 2008 à 2009 (aux États-Unis, une année fiscale correspond à la période entre octobre d’une année et septembre de l’année suivante). C’est aussi en 2010 que le budget alloué à la guerre en Afghanistan dépasse le budget pour l’Irak.

En cumulé depuis le début de chaque conflit, l’Irak a coûté 806 milliards de dollars, soit 63% du total, contre 444 milliards pour l’Afghanistan, 35% du total.

150 000 soldats US encore engagés

Dès le lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Washington avait envahi l’Afghanistan, avec l’accord du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, qui créa la Force Internationale d’Assistance à la Sécurité en décembre 2001. Le nombre de soldats américains présents est en constante et légère augmentation jusqu’en 2007. L’Afghanistan n’est pas une priorité, notamment à partir de mars 2003 et le début de la guerre en Irak. 150 000 soldats sont alors mobilisés, 10 fois plus qu’en Afghanistan.

En 2007, Georges W. Bush lance le “surge“, augmentation massive des troupes pour mettre fin aux violences qui ensanglantent le pays. De 132 000 en janvier 2007, le chiffre atteint 170 000 en novembre suivant. Entre l’Irak et l’Afghanistan, les États-Unis mobilisent à cette date-là 195 000 personnes, un maximum qui ne sera uniquement atteint à nouveau en août 2009.

Promesse de sa campagne électorale, Barack Obama annonce le retrait des troupes d’Irak après son élection. Entre avril 2009 et septembre 2010, le nombre de troupes engagés passe de 39 000 à 98 000, soit 2,5 fois plus. En juin 2009, la situation s’inverse entre les deux pays : les troupes déployées en Afghanistan sont plus nombreuses que les troupes au sol en Irak, conséquence du “surge” afghan et du retrait irakien.

Ces chiffres ne reflètent pas toute la réalité. En novembre 2010, à l’occasion d’une une” sur la privatisation de la guerre, OWNI avait ainsi réalisé cette visualisation sur la montée en puissance des sociétés militaires privées engagées en Irak et en Afghanistan, dont les effectifs, respectivement de 112 092 et de 95 461 (soit 207 553) dépassaient ceux des troupes militaires présents dans ces pays-là : 79 100 et 95 900, soit 175 000 “soldats réguliers” :

Avec Pierre Alonso pour les chiffres sur les troupes, et les sommes engagées.


Retrouvez notre dossier :

L’image de Une en CC pour OWNI par Marion Boucharlat

Ben Laden dans les archives des services secrets par Guillaume Dasquié

Mort de Ben Laden : l’étrange communication de l’Élysée par Erwann Gaucher

L’ami caché d’Islamabad par David Servenay

Photoshop l’a tuer par André Gunthert

]]>
http://owni.fr/2011/05/02/les-300-000-morts-de-la-guerre-contre-le-terrorisme/feed/ 41
Pas si intéressants, les secrets de WikiLeaks sur l’Irak http://owni.fr/2011/04/24/pas-si-interessants-les-secrets-de-wikileaks-sur-lirak/ http://owni.fr/2011/04/24/pas-si-interessants-les-secrets-de-wikileaks-sur-lirak/#comments Sun, 24 Apr 2011 08:30:13 +0000 Anneke van Ammelrooy http://owni.fr/?p=58752

Article initialement publié sur European Journalism Centre sous le titre “The uninteresting Baghdad secret of WikiLeaks” et repéré par OWNI.eu

Tous les liens de cet article sont en anglais.

“Qu’est-ce que WikiLeaks a finalement sorti ?” demande le magazine néerlandais Villamedia dans un article en mars dernier. Deux mois après que trois médias des Pays-Bas ont obtenu les télégrammes de l’ambassade américaine à La Haye, la réponse est décevante : pas tant que ça en réalité, six scoops au total.

En Irak non plus, WikiLeaks n’est finalement pas le grand révélateur qu’il prétendait être. D’immenses attentes étaient apparues quand WikiLeaks avaient annoncé que le sujet le plus important des 250.000 télégrammes diplomatiques qui ont fuité était la guerre en Irak. Moi-même webmaster d’un journal irakien, je m’imaginais déjà croulant sous des montagnes d’informations secrètes. WikiLeaks revendiquait détenir plus de 6.600 télégrammes de l’ambassade américaine à Bagdad et prétendait que plus de 9.000 télégrammes d’autres capitales évoquaient la guerre en Irak.

Ambassade américaine à Bagdad

Les espoirs ont bientôt été anéantis quand l’accès à l’ensemble des données n’a été donné qu’à deux journaux, le New York Times et le Guardian. D’autres journaux occidentaux y ont ensuite eu accès mais ils devaient remplir une série de conditions, fournir le CV des journalistes qui traiteraient le contenu par exemple. La chaine de télévision néerlandaise RTL Nieuws et le quotidien NRC ont ainsi obtenu les télégrammes du quotidien norvégien Aftenposten qui avait reçu l’ensemble des télégrammes d’une source encore floue.

WikiLeaks n’a publié gratuitement que 24 télégrammes de Bagdad. Le nombre est maintenant, en avril 2011, de 32, ce qui reste dérisoire ! Notre journal en Irak est en difficulté parce qu’il ne peut pas acheter le reste des documents, en tout cas pas de WikiLeaks, et Aftenpost a catégoriquement refusé de partager les télégrammes avec nous.

Des pans entiers manquants

Les war logs d’Irak ont été publiés sur Internet gratuitement et en intégralité (à l’exception de certains noms supprimés). De nombreux journalistes irakiens ont pourtant été déçus, notamment parce que des pans entiers du conflits manquaient à l’instar du siège en 2004 de la ville sainte de Nadjaf.

Plus important encore, les logs contiennent des récits qui ne sont pas compréhensibles tout de suite. On peut lire :

TF %%%, during a VCP in AN %%% stopped a car and confiscated %%% x AK-%%% and %%% x possible falls %%%. One male was handed over to local IZP.

Les war logs ressemblent à la lecture à des sortes de formulaires militaires numériques qu’on aurait utilisés pour rendre compte rapidement des événements avec des dizaines d’acronymes nécessitant d’abord de les décrypter (voir la liste). Rendre intelligible des télégrammes militaires est un vrai défi.

On peut chercher dans la base de données des war logs avec des mots clé comme les noms des villes, des mots tels que “torture”, “viol”, ou FAI (forces anti-irakienne, l’ennemi) ou avec des dates. Malgré cela, après avoir essayé de chercher avec des dizaines de termes différents, je n’ai rien trouvé qui ne soit pas déjà connu des Irakiens.

Le Guardian a trouvé deux idées brillantes pour démêler l’imbroglio des logs militaires. La première était de partager les war logs avec l’Iraq Body Count, une organisation basée à Londres qui enregistre chaque mort violente en Irak depuis 2003. Ces comptables des morts ont découvert dans les war logs environ 15.000 civils qui avaient été tués et n’avaient été mentionné nulle part à ce jour. Et alors que c’est absolument énorme, la classe politique et l’opinion publique irakienne n’en ont rien fait.

Le Guardian et sa publication jumelle The Observer ont eu un second éclair de génie quand ils ont décidé de rassembler tous les logs du l’ensemble du pays pour un jour précis, le 17 octobre 2006, et ont montré aux lecteurs les dizaines d’incidents violents qui peuvent se produire en un seul jour en Irak. Cette liste montrait le vrai visage de la guerre en Irak en 2006, l’année la plus meurtrière du conflit. Rien de nouveau pour les Irakiens.

Redites

L’apport des war logs pour la connaissance et la compréhension du conflit en Irak est très limité. Wikipedia a déjà documenté minutieusement la bataille de Falloujah en 2004. Des dizaines de mémoires écrits par des soldats américains, disponibles dans le monde entier sur amazon.com, analysent en détail ce que signifie se battre en Irak. La corruption qui gangrène l’armée américaine et le Département d’État a été documentée encore et encore par des inspecteurs du gouvernement américains et des institutions comme l’American Centre for Public Integrity. Les war logs font pâle figure comparé à de tels efforts.

L’histoire du “cablegate” en Irak est courte, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’histoire. D’après les quelques télégrammes publiés, les hommes politiques irakiens n’ont pas dit grand chose de plus entre les murs de l’ambassade que ce qu’ils avaient déclaré plus tôt publiquement.

Les journalistes qui ne suivent pas l’actualité avec les médias irakiens pourraient trouver des télégrammes incroyables, comme celui sur les religieux chiites qui expriment leur totale aversion pour les partis politiques religieux. Mais en Irak, les canaux traditionnels communiquent toutes ces informations.

Pour des raisons que seul WikiLeaks connaît, les 24 télégrammes liés à la guerre donnaient surtout un aperçu peu flatteur des interférences de l’Iran dans les affaires irakiennes, y compris que les cheikhs [ndlr : dignitaire religieux] se voyaient proposer les services de prostituées pendant leurs visites en Iran. Rien de nouveau en Irak ! La raison pour laquelle WikiLeaks a choisi de se concentrer sur cet angle tout en censurant des milliers d’autres reste un mystère.

L’agence de presse AP a rapporté que Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, “avait exprimé une frustration à l’égard du rythme lent de publication des télégrammes” et a affirmé que “publier des fichiers spécifiques à un pays à des médias locaux sélectionné devait les mettre en valeur plus vite”. Notre journal irakien n’a pourtant jamais été approché et nous n’avons pas reçu de réponse à nos demandes pour avoir accès aux télégrammes.

Une des dernières fuites à être publiée était un télégramme à propos du nombre croissant d’Irakiens se rendant au zoo de Bagdad… De mon point de vue, deux mémos de Bagdad sont vraiment intéressants – surtout pour les historiens d’ailleurs – : un révèle que ce qui reste du parti Baas de Saddam a demandé de l’aide aux États-Unis pour être intégré dans le nouveau système politique, et un autre révèle des détails sur les aspects pratiques de l’exécution de Saddam – on sait maintenant avec certitude que c’était une entreprise amateur.

WikiLeaks ne sert pas l’Irak. La guerre dans ce pays malheureux n’a été utilisé que pour vendre plus de journaux dans des pays en paix. Des pays dans lesquels le meurtre de 15.000 personnes ne passerait pas inaperçu dans les médias.



> Crédits Photo : US Department of Defense, cryptome, and Flickr CC mashleymorgan

> Traduction Pierre Alonso

]]>
http://owni.fr/2011/04/24/pas-si-interessants-les-secrets-de-wikileaks-sur-lirak/feed/ 0
Ebook: le cahier 2010 Wikileaks http://owni.fr/2010/12/27/ebook-wikileaks/ http://owni.fr/2010/12/27/ebook-wikileaks/#comments Mon, 27 Dec 2010 17:28:53 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=40142 Après avoir méticuleusement œuvré dans l’arrière-cour de l’administration américaine (en dévoilant la bavure d’un hélicoptère Apache de l’armée en Irak, puis en publiant des milliers de documents relatifs aux conflits afghan et irakien), WikiLeaks a définitivement enfoncé la porte de la sphère publique à la fin du mois de novembre. En s’associant au Guardian, au New York Times, au Spiegel, au Monde et à El Pais pour publier les mémos diplomatiques les plus significatifs du Département d’Etat, l’organisation de Julian Assange a réussi son triple pari : capter l’attention des médias, qui ont enfin réussi à prononcer le nom de WikiLeaks et guettent désormais le moindre rebondissement ; celle de la foule, qui distingue désormais les détails du paysage ; celle de la classe politique enfin, qui découvre la portée politique d’Internet tout en cherchant un moyen de brider ce pouvoir de nuisance qui fait peur aux États.

Beaucoup de choses ont été écrites sur WikiLeaks, par cercles concentriques : il y a eu le traitement des révélations contenues dans les documents, puis les commentaires sur le processus de publication, auxquels sont venus se greffer les commentaires de commentaires, dans une vertigineuse mise en abyme. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons parcouru nos archives et compilé les meilleurs articles sur WikiLeaks publiés sur OWNI les six derniers mois. Bonne lecture.

]]>
http://owni.fr/2010/12/27/ebook-wikileaks/feed/ 8
La guerre dont vous êtes le héros http://owni.fr/2010/11/15/la-guerre-dont-vous-etes-le-heros/ http://owni.fr/2010/11/15/la-guerre-dont-vous-etes-le-heros/#comments Mon, 15 Nov 2010 15:59:24 +0000 Anaïs Llobet, Bénédicte Lutaud, Nina Montané et Joseph Tandy http://owni.fr/?p=35807 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

__

Pour gagner les coeurs et les esprits des Irakiens, tous les moyens sont bons: tracts, jouets, messages radios… Des armes aussi efficaces que les fusils et les grenades.

Les unités américaines d’opération psychologique (les PSYOP) changent d’outils, selon trois critères: la situation, le public et le but recherché. Passage en revue d’un arsenal psychologique, entre distribution de tracts, de jouets, diffusion de rumeurs, et incitation à la délation.

Distribuer des tracts

C’est l’arme phare (de base) de la guerre psychologique, la plus utilisée tout au long du conflit. Selon cet article officiel des PSYOP, des milliers de tracts sont largués par hélicoptère. Lors de l’invasion de 2003, des avalanches de flyers exhortant les tenants de Saddam Hussein à se rendre se sont abattus sur le pays. Une grande variété de slogans ou d’informations sont élaborés par la suite par les équipes PSYOP, au cours d’un processus décrit dans les dernières pages de ce rapport de 2003. Vous pourrez observer quelques exemplaires de tracts ici.

Ils peuvent être utilisés en réaction à un attentat, pour des opérations de promotion de fond des forces américaines et/ou irakiennes (après 2007) ou pour des évènement précis. Par exemple, afin de préparer la population au référendum sur la Constitution et la mobiliser, en octobre 2005, les soldats distribuent des tracts de mains en mains tout en discutant avec les habitants du village.

Quelques exemples de tracts:

Désolée, vous n’étiez pas là quand nous sommes venus vous rendre visite. Mais ne vous inquiétez pas, on finira bien par vous attraper, vous et vos amis!

Citoyens de la province de Ninewah pour soutenir l’état d’urgence décrété par le gouvernement irakien, les forces de sécurité irakiennes et les forces multi-nationales ont installé des check point à divers endroits et effectuent des fouilles de véhicules sur les routes de la région. Ne sortez pas de votre véhicule sauf ordre contraire.

Distribuer des jouets

En distribuant des jouets aux enfants irakiens, les soldats américains tentent d’apaiser les tensions avec la population locale – surtout pendant les perquisitions ou les opérations anti-terroristes.

Mais le choix des jouets est délicat: les Barbies sont considérées contraires à l’Islam, et les petites voitures seraient les “des symboles d’infidèles” selon les extrémistes religieux.

Les distributions de jouets sont mal perçues par les insurgés. Ils y voient une tactique d’influence des Américains. Les PSYOP tenteraient de convertir les petits Irakiens à l’American Way of Life. En attendant, les enfants préfèrent les armes en plastique aux peluches, la guerre à la paix.

Envoyer un script radio ou TV

Comment éviter la panique et les mouvements de foule ou de contestation juste après un attentat? Comment informer beaucoup de monde, et rapidement? La solution se trouve dans les médias audiovisuels: radio, et télévisions locales. Dans ce rapport, juste après un attentat à la voiture piégée dans la ville de Kirkuk, il est décidé d’envoyer un message via la radio pour informer la population sur l’auteur de l’attentat, le nombre de blessés, etc.

Dans un autre cas, à Mossoul, trois femmes civiles sont blessées à l’intérieur d’une voiture que les soldats américains prennent pour une voiture piégée. Dès lors, un message pour expliquer les circonstances de l’accident est envoyé dans deux radios locales :

L’unité PSYOP a envoyé un script radio approuvé à ces stations radio pour le bulletin d’information [...] Script: A Mossoul, des locaux ont été blessés lorsque les forces de coalition répondaient à une attaque sur une autre unité dans le quartier X de Mossoul. Une enquête commune entre la coalition et les forces irakiennes est en cours pour déterminer les circonstances de l’incident.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 3 février 2009

Ecouter les bruits de rue, écouter les sermons des mosquées

Afin de comprendre comment la population locale réagit face aux attentats et autres incidents, rien de plus astucieux que d’écouter ce qui se dit dans la rue… et dans les mosquées. Cela permet aux soldats de la PSYOP de mieux adapter leur message à la culture et aux moeurs des Irakiens. Des missions qui ne sont pas sans danger. Dans ce rapport, on apprend que lors d’une mission d’écoute dans les mosquées, une unité PSYOP essuie à trois reprises des tirs ennemis. À chaque attentat, systématiquement, les mêmes messages sont envoyés aux soldats:écouter l’ambiance et ce qu’il se dit dans la rue, ou encore écoutez/observez les rumeurs à propos de l’attentat“.

Engager la conversation avec les habitants

Vers la fin de la guerre, l’influence se fait à un niveau individuel. Les PSYOP se tournent vers les conversations directes avec la population, comme le recommande ce rapport qui fait suite à un attentat. Accompagnés de leurs interprètes, quand ils ne maîtrisent pas eux-mêmes l’arabe, ils diffusent leur message, toujours guidés par des ‘talking points’ prédéfinis.

Propager des rumeurs

Dans ce rapport, il est recommandé de lancer des rumeurs au cours de conversations avec la population locale. Les soldats propagent ainsi leur messages au plus près des Irakiens et de manière diffuse, le bouche-à-oreille ne permettant pas de déterminer l’origine de l’information.
C’est un outil ingénieux, car il s’adapte à une réalité culturelle locale. D’après le colonel Chauvancy, “au sein des sociétés rurales dans lesquelles opère l’armée américaine, elles se répandent très vite, de village en village”. Il s’agit pas de “donner sa version de la vérité” tout en la faisant relayer par les locaux eux-mêmes, ajoute Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique.

Payer pour avoir des informations (“reward program”)

Méthode employée pour obtenir des informations sur les activités d’insurgés ou de trafiquants d’armes, les rapports Wikileaks indiquent une nette augmentation de l’utilisation de récompenses dans le cadre de la stratégie contre-insurrection engagée par Petraeus. A la suite d’un attentat, les PSYOP diffusent sur la radio et télévision locale et sur des affiches publicitaires des numéro de téléphone permettant à la population locale de transmettre des informations en échange d’argent. Et martèlent que “protéger sa famille et son pays relève du devoir de tout citoyen honorable”.

Surveiller des manifestants

Toute manifestation doit être surveillée pour palper l’opinion du moment et surtout éviter tout débordement. Dans ce rapport, les PSYOP surveillent de près une manifestation pour protester contre la mort d’un leader du Hamas. Sur place, ils dénombrent 1.000 manifestants. Dans un autre rapport, on comprend que les PSYOP se débrouillent pour discuter avec les leaders d’une manifestation de 100 personnes contre la fermeture d’un pont suite à plusieurs attentats dans la zone. Un autre exemple de surveillance de manifestation ici.

Quelle efficacité ? “Plus l’opération a un but précis, local et à court terme, plus elle est efficace”, analyse Philippe Gros. Par exemple, convaincre la population que les insurgés leur veulent du mal est un projet si général que les retombées sont très compliquées à mesurer. Mais inciter les habitants d’un village à aller voter lors d’une élection paraît bien plus réalisable.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

__

Crédits photo: Flickr CC DVIDSHUB, illustration Marion Boucharlat

]]>
http://owni.fr/2010/11/15/la-guerre-dont-vous-etes-le-heros/feed/ 4
Journal de bord de la guerre psychologique en Irak http://owni.fr/2010/11/15/journal-de-bord-de-la-guerre-psychologique-en-irak/ http://owni.fr/2010/11/15/journal-de-bord-de-la-guerre-psychologique-en-irak/#comments Mon, 15 Nov 2010 15:48:57 +0000 Anaïs Llobet, Bénédicte Lutaud, Nina Montané et Joseph Tandy http://owni.fr/?p=35778 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

__

La guerre en Irak ne s’est pas jouée uniquement sur l’usage de la force physique. L’armée américaine a également mené une bataille moins tangible, celle des consciences et des cœurs, au sein d’une unité spéciale: les “Psychological Operations”. Les rapports mis au jour par Wikileaks le 23 octobre 2010 dévoilent les dessous des “PSYOP” et l’évolution de leur action au fil du conflit.

Un rapport des forces armées américaine qui date de 2003 donne la définition suivante des PSYOP (appelées par l’armée française “Opérations militaires d’Influence”) :

Opérations visant à transmettre des informations et des indicateurs à des audiences étrangères de manière à influencer les émotions, motifs, raisonnements, et finalement, comportements de gouvernements, organisations, groupes et individus étrangers.

C’est en 2007 que le général Petraeus fait des PSYOP un élément clé dans stratégie globale pour la stabilisation de l’Irak. Sous l’impulsion de Petraeus, qui prend le commandement des forces de la coalition en février de cette année, le conflit passe de sa période “chaude” à la phase de “state-building”, la tentative de construction d’un état stable.

Parallèlement à l’envoi de 20.000 soldats supplémentaires, il s’agit d’aller au-devant de la population via les PSYOP, pour faciliter les opérations américaines et progressivement préparer le retrait des troupes. Dans un contexte où l’armée américaine avait “tendance à être un peu brutale, pour le général Petraeus, quand on fait la guerre, on n’est pas obligé de tuer l’ennemi”, explique le Colonel François Chauvancy, spécialiste français des opérations militaires d’influence.

En septembre 2007, soit sept mois après son accession à la tête des opérations en Irak, le commandant des forces multinationales présente son rapport au Congrès Américain. Il vante les mérites des “activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger”. Le but: montrer les forces américaines sous un jour favorable aux irakiens, alors que l’armée US traverse une période de grande difficulté.

Nous avons engagé des activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger.

-
Rapport au Congrès, 10 septembre 2007

Une fois gagnés les “coeurs et les esprits”, de moins en moins d’Irakiens se rebelleront, estime Petraeus. Exemple de ces activités: dénigrer les insurgés en les présentant comme des suppôts du mal. A la suite d’échanges de tirs dans le quartier nord de Bagdad, ce rapport de 2008 préconise de les appeler des “lâches”, des “criminels” et des “terroristes”. Un élément de langage réutilisé de très nombreuses fois. Il était accompagné d’un numéro de téléphone, pour encourager la population à la délation:

Ces derniers jours, des criminels et terroristes ont apporté le mal dans vos quartiers. Pour eux, peu importe si leurs balles atteignent les lieux où jouent vos enfants. Les lâches responsables de ces actes de terreur montrent une fois de plus leur manque de respect pour la vie d’innocents et l’amour de la paix. Ne laissez pas ces terroristes faire du mal à vos familles. Appelez-nous si vous avez la moindre information.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 11 mai 2008

Si la nomination de Petraeus marque une nouvelle étape dans l’importance des PSYOP, ils sont présents en Irak dès l’invasion de 2003. 6.000 agents sont affectés en permanence aux brigades américaines par compagnies de 70 hommes.

A ce stade du conflit, ils interviennent pour conduire un harcèlement moral de l’armée nationale irakienne. Ils inondent les boîtes vocales d’officiers irakiens de messages affirmant que la guerre est perdue. En d’autres occasions ils alertent l’armée irakienne d’un bombardement prévu à une certaine heure, avant de mettre la menace à exécution. “Le sentiment d’impuissance était absolument terrible pour les forces irakiennes”, explique Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique.

Au cours des premières années d’occupation, on fait également appel aux PSYOP pour annoncer et faire respecter des couvre-feux ou encore les règles d’”escalade de force” lors des contrôles aux check points, suite à de multiples bavures.

2009: les PSYOP comme force majeure de transfert du pouvoir

En 2009, une nouvelle consigne impulsée par la doctrine Petraeus apparaît massivement dans les rapports: il s’agit de se rapprocher des pouvoirs locaux. Objectif visé: s’insérer dans la population, approcher les leaders religieux et politiques des villes et villages. Les PSYOP doivent discuter avec les habitants des attentats qui viennent d’avoir lieu et se montrer compatissants, comme l’énonce ce rapport d’août 2009:

Continuez d’écouter ce qui se dit dans la rue, engagez des conversations avec les habitants à propos des attaques, et soyez prêts à en discuter avec les chefs locaux.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 24 août 2009

La même année, la stratégie passe à un stade supérieur: le transfert progressif du pouvoir aux autorités locales, condition sine qua non du départ des troupes américaines. C’est là que se systématise la diffusion du message esquissé en 2007: les Irakiens doivent avoir confiance dans les forces de sécurité de leur pays. Dans les rapports de l’armée, c’est une avalanche d’éléments de langage (“talking points”, en anglais).

La nouvelle consigne: ne plus se mettre en avant en tant que soldat américain, mais systématiquement valoriser les institutions locales. Que ce soit dans des tracts ou des scripts envoyés aux stations de radio et chaînes télévisées, il faut montrer que la police et l’armée irakiennes ont le contrôle de la situation. Dès début 2009, un thème récurrent se dégage des rapports, celui de “protéger les protecteurs”: les locaux doivent aider ceux qui assurent leur sécurité, Irakiens et Américains.

Les forces de coalition travaillent de paire avec la police irakienne et l’armée irakienne pour vous protéger et assurer la sécurité dans votre ville. Aidez-nous à les protéger.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 20 janvier 2009

En montrant que les deux côtés coopèrent, cet élément de langage vise à transmettre à la police et l’armée irakiennes l’aura de confiance que les Américains croient détenir auprès de la population.

Les PSYOP cherchent par là à renforcer l’identification des Irakiens à ces nouvelles forces formées par les Américains durant la guerre:

Votre armée, votre police, vos forces de sécurité et les chefs de ces forces vous protègent. Votre armée a montré à tous l’exemple à suivre.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 30 octobre 2009

Mais le discours va plus loin. Les soldats américains doivent présenter les membres des forces de sécurité irakiennes comme des “héros”. Un ton bien différent de celui des insurgés, qui appellent les meilleurs d’entre eux des “martyrs”:

Les policiers irakiens sont des héros et travaillent très dur pour protéger les habitants de Mossoul Ouest.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 4 février 2009

Un discours en contradiction avec d’autres déclarations des forces américaines, qui savent pertinemment que la torture pour des motifs souvent arbitraires a toujours cours dans les commissariats irakiens.

Suite de la campagne de contre-insurrection, les PSYOP continuent de véhiculer des messages de dénigrement des insurgés, qu’ils présentent comme désespérés… tout en mettant encore en valeur les forces irakiennes:

Les criminels sont en train de perdre leurs soutiens dans toute la province de Mossoul et perdent espoir. Une fois de plus, cela prouve que la police irakienne est plus que capable et prête à protéger Mossoul face aux criminels et aux insurgés. Les soldats de l’armée irakienne travaillent dur pour que de belles choses arrivent à tous. Montrons notre soutien à l’armée irakienne pour tout ce qu’ils ont fait pour les citoyens de Mossoul.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 14 février 2009

Parmi les messages dirigés vers les Irakiens coopératifs, un rapport de 2009 montre également celui-ci. Il cherche à conforter dans leur choix ceux qui collaborent, non sans quelques accents religieux:

Vos efforts pour sécuriser le pays doivent continuer. Vous avez choisi le bon chemin.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 26 janvier 2009

Un nouveau moyen d’influence apparaît également dans les rapports de l’armée en 2009: la rumeur (appelée “whisper campaigns”, en anglais). Une manière d’influencer les acteurs au plus près, puisqu’ils ne peuvent pas identifier la source de l’information et qu’ils la relaient eux-mêmes.

Les PSYOP reposent en paix

Le rôle toujours plus important des PSYOP en 2009 et 2010 leur a aussi valu une certaine renommée. Une célébrité qui ne leur a pas rendu service, puisque la population américaine a eu tendance à les considérer comme des unités de propagande.

Résultat: ultime rebondissement, en juin 2010, l’Etat-major américain a décidé de supprimer le nom des PSYOP, porteur d’une connotation de manipulation des esprits. Elles deviendront les “Military Information Support and/to Operations”, ou MISO. Un changement de nom tactique, pour une unité soucieuse de renvoyer une image positive.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

__

Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army, DVIDSHUB

]]>
http://owni.fr/2010/11/15/journal-de-bord-de-la-guerre-psychologique-en-irak/feed/ 2
Toy Story en Irak http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/ http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/#comments Mon, 15 Nov 2010 13:44:29 +0000 Anaïs Llobet http://owni.fr/?p=35754 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

__

Tu pleures parce que notre opération anti-terroriste t’a fait peur ? Tiens, voilà une poupée. Ah, on a tué ton chien pendant cette même opération? Prends-donc ce kit Lego, ça t’aidera à te reconstruire.

Les jouets débarquent en Irak. Pour mieux se faire accepter par la population locale, les soldats américains distribuent des peluches et des poupées aux enfants irakiens. Une méthode surprenante mais efficace quand elle ne se heurte pas aux traditions religieuses.

Entre charité et opportunisme, gagner les cœurs des petits Irakiens à coups de peluches et de jouets,c’est une des méthodes de l’unité américaine des opérations psychologiques (les PSYOPs).

Et ça marche. Comme cette fois où, pendant que les soldats américains perquisitionnaient les maisons à la recherche d’armes, les PSYOPs distribuaient des jouets à la volée. Au final, beaucoup moins d’animosité et de regards haineux de la part des Irakiens. Sur Wikileaks, un rapport d’une brigade -rendue anonyme par le site- confirme “que donner des jouets reste un moyen efficace d’influencer la population” pendant les perquisitions.

Jouer au Père Noël, c’est aussi bien pratique pour avancer dans les quartiers dangereux. Entourés par une nuée d’enfants, les soldats américains se sont baladés tranquillement dans les rues, direction un bâtiment “qu’on disait abandonné”. A l’intérieur, surprise! ils y découvrent deux “rebelles étrangers”, à l’attirail du parfait-petit-poseur-de-bombes.

En une expédition, les soldats américains ont fait d’un jouet trois coups: non seulement ils ont conquis le cœur des enfants irakiens – et de leurs parents, charmés par tant de générosité -, mais ils ont en plus réussi à avancer en toute sécurité dans les rues, avant de réaliser un beau coup de filet anti-terroriste.

Des distributions de jouets assurées par des ONG

Les distributions de jouets par les PSYOPs ont fait des émules parmi les autres régiments de l’armée américaine. Après avoir offert une peluche à une petite fille dont “les yeux se sont illuminés d’une telle joie”, le soldat Paul a décidé de lancer sa propre ONG, Operation Give. Des quatre coins des Etats-Unis, on lui envoie des jouets qu’il redistribue ensuite sur le terrain. “Nous voulons aider les soldats américains à gagner les cœurs et les esprits des gens de cette région”, explique Paul.

Certains coeurs et esprits sont cependant loin d’être conquis par ces soldats déguisés en Mère Teresa. Parfois, les gentils Américains tombent sur “des éléments de propagande” qui incitent les enfants irakiens à refuser leurs cadeaux. Il arrive aussi que les distributions de jouets soient interrompues par des voitures qui foncent en leur direction.

Des jouets américains en terre d’Islam

Les jouets seraient-ils aussi une affaire d’adultes? Les Américains font pourtant attention d’éviter d’offrir des Barbies nues afin de ne pas exciter le zèle religieux de certains Irakiens: les formes voluptueuses de la figurine s’accordent mal avec les préceptes de l’islam. Mais les soldats donnent sans hésiter des voitures, des Legos et des poupées; véritables symboles d’infidèles, selon les extrémistes.

Ce que craignent surtout les insurgés, c’est que les jouets fassent partie d’une tactique d’influence des Américains. Un peu comme après la seconde guerre mondiale, lorsque les G.I. offraient à tout-va des chewing-gums et du chocolat aux enfants européens et japonais. Aujourd’hui, les petits Irakiens reçoivent des peluches et des poupées, mais la stratégie serait la même, selon les insurgés. Derrière l’apparente générosité des soldats américains, il n’y aurait pas que la volonté de se faire accepter par la population locale, mais surtout celle de faire goûter aux enfants le si agréable American Way of Life.

L’ONG Operation Give ne s’en cache pas. Si elle a décidé d’apprendre aux Irakiens le baseball et le football,“ces jeux géniaux de tradition américaine”, ce n’est pas uniquement pour le plaisir d’échanger avec eux d’autres balles que celles des fusils – mais pour que les enfants “apprennent bien plus que ces jeux”. Comprenez: on serait ravis qu’ils se familiarisent avec notre belle culture et langue américaine.

Jouer avec des peluches c’est bien, avec des armes c’est mieux

Et les enfants dans tout ça ? Ils sont sûrement heureux de recevoir des cadeaux de la part des soldats américains, même si ces derniers ne quittent jamais leur gilet pare-balles. Cependant, si les petits Irakiens pouvaient choisir, ils préféraient que les Américains leur tendent non pas des peluches mais des… AK-47. En plastique et avec balles de caoutchouc, mais le plus ressemblant possible. Citée par le journal Al-Arabiya, Dr. Nahed Abdul Karim, sociologue de l’Univerisité de Baghdad, explique que les enfants aiment imiter “et de là vient leur envie d’avoir leurs propres armes“. Mortiers, mini-bombes, lanceurs de roquettes… tant que c’est une (fausse) arme de guerre, l’enfant irakien sera heureux, rapporte Al-Arabiya.

Pour les soldats américains, ces “jouets” sont un véritable casse-tête. Dans les rues, les enfants marchent en groupe, leur AK-47 à la main. On les appelle les “faux gangs”. Mais de loin, difficile de les différencier avec les vrais, ce qui a déjà failli coûter la vie à plus d’un enfant. La faute à une guerre si présente au quotidien qu’elle en est devenue le jeu privilégié des petits irakiens.

Cet article a originellement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

Retrouvez tous nos articles sur WikiLeaks en cliquant ici

__

Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

]]>
http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/feed/ 17
[Visualisation] War Inc. http://owni.fr/2010/11/02/visualisation-war-inc/ http://owni.fr/2010/11/02/visualisation-war-inc/#comments Tue, 02 Nov 2010 15:53:36 +0000 Admin http://owni.fr/?p=34495 Officiellement, les troupes américaines se sont retirées d’Irak le 31 août 2010, passant le relais aux acteurs civils. Faut-il pour autant s’attendre à un changement stratégique radical? Comme le montre cette infographie, les employés de sociétés militaires privées sont plus nombreux que les soldats, en Irak comme en Afghanistan. S’ils ne sont pas tous des mercenaires prenant activement part au combat, ils montrent à quel point les États-Unis ont externalisé la conduite des deux guerres dans lesquelles ils sont engagés.

Par ailleurs, comme le relève le Congressionnal Research Service, le ratio entre les soldats et les employés de sociétés militaires privées suit une logique proportionnelle, notamment en Irak. Ainsi, depuis juin 2008, les troupes américaines ont été réduites de 37% (54.400 soldats en moins), tandis que la part des contractors diminuaient de 41% (67.000 employés). Si elle permet de pondérer la croissance exponentielle des mercenaires sur les théâtre d’opération, cette corrélation montre bien l’interdépendance entre l’administration américaine et le secteur privé.

Infographie réalisée par Elsa Secco

]]>
http://owni.fr/2010/11/02/visualisation-war-inc/feed/ 1
Vers la guerre privatisée http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/ http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/#comments Tue, 02 Nov 2010 15:33:08 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=34448 76. C’est, en milliards de dollars, le montant des contrats souscrits entre le Pentagone et les sociétés militaires privées américaines (regroupées sous le sigle SMP), entre 2003 et 2007 (PDF). S’il n’était pas mis en avant par le très sérieux Congressional Research Service, l’agence fédérale chargée de passer au crible les politiques publiques, on serait tentés d’invalider ce chiffre stratosphérique. Pour éclairer les béotiens de l’uniforme, il équivaut à un peu plus de 10% du budget de la Défense pour l’année fiscale 2011. Plus éloquent encore, cette enveloppe ne concerne que le “théâtre irakien”, soit l’Irak, Bahreïn, la Jordanie, le Koweït, le Qatar, le sultanat d’Oman, l’Arabie Saoudite, la Turquie et les Émirats arabes unis. Nulle mention ici de l’Afghanistan ou des conflits contre-insurrectionnels de type guérilla, en Afrique ou en Amérique du Sud, qu’ils impliquent milices ou cartels de la drogue.

Officiellement, l’U.S. Army s’est retirée d’Irak le 31 août 2010, suivant un calendrier établi par Barack Obama lui-même. Le soir-même, depuis le Bureau Ovale de la Maison-Blanche, le président avait exprimé la nécessité de “transmettre le témoin aux acteurs civils”. Bien entendu, il faisait allusion aux diplomates, aux conseillers, à l’USAID (l’agence pour le développement international). Mais l’expression comporte aussi sa zone grise, celle des mercenaires et autres “soldiers of fortune”.

En 2008, en pleine campagne présidentielle, Hillary Clinton sortait le mortier pour annihiler les gros bras, gilet en kevlar sur le dos et M16 en bandoulière: elle voulait faire voter “un texte bannissant Blackwater et les autres entreprises de mercenaires d’Irak et d’Afghanistan”. Deux ans et demi plus tard, la sinistre société précitée s’appelle désormais Xe, après qu’une série d’audits du Congrès a fait muer le mastodonte. A la vérité, Blackwater a plutôt été éclaté en une série d’allèles par le truchement d’une joint venture, comme en témoigne un contrat de 2,2 milliards de dollars signé par le Département d’État – dirigé par la même Hillary Clinton – le mois dernier.

“Personal Security Detachment”

Dans les Warlogs exhumés par WikiLeaks, pourtant nettoyés de toute mention nominative (on n’y trouve ni nom d’informateur, ni sigle de société), on recense plus de 3.000 allusions à des PSD, “Personal Security Detachment”. En y ajoutant l’adjectif “French”, la base de données de WikiLeaks offre 3 résultats, tandis qu’une recherche plus large sur notre pays comptabilise 326 occurrences. Il n’aura échappé à personne que la France n’est pas engagée militairement en Irak, et ce depuis la célèbre saillie diplomatique de Dominique de Villepin sur les bancs de l’ONU.

Comment dès lors expliquer la présence de compatriotes dans les faubourgs de Bagdad ou les environs de Bassorah?

Pour mieux cerner les contours de cette nouvelle géographie du combat, il faut bien noter que les agents du renseignement extérieur sont comptabilisés parmi les PSD dans les rapports de situation. Ainsi, le Français “abattu à travers la fenêtre d’un véhicule le 21 novembre 2006” n’est pas un mercenaire, mais un agent de la DGSE tué lors d’un incident à un check-point, un mois jour pour jour avant la libération des journalistes otages Christian Chesnot et Georges Malbrunot.

Une loi, des failles

S’il est extrêmement difficile de quantifier la présence française sur les théâtres d’opération, c’est peut-être parce que la législation française, qui essaie tant bien que mal d’encadrer le mercenariat, est victime de ses propres défaillances. Depuis 2003, la loi punit de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende “toute personne, spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé et qui n’est ni ressortissante d’un État partie au dit conflit armé”. Quant à ceux qui recruteraient, emploieraient, équiperaient ou rémunéreraient lesdites personnes, le texte prévoit une peine de sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende.

Pour les  connaisseurs, il ne s’agirait que d’un contre-feu, d’un signal adressé aux SMP afin de mieux maîtriser leurs activités. Pour ses concepteurs, la loi ne vise qu’à créer “un risque judiciaire, afin de professionnaliser le milieu et faire le ménage”. Dans Le Monde Diplomatique de novembre 2004, un ancien collaborateur du célèbre Bob Denard stigmatisait le fait qu’”aucun mercenaire ne réunit cumulativement les six critères imposés par la loi”, parce que la plupart sont “envoyés en mission” par des États tiers, et donc intégrés de facto aux forces armées du pays concerné.

En outre, la loi française ne condamne que la stricte “participation active aux combats”, laissant la voie libre à toutes les autres composantes des sociétés militaires privées, qu’il s’agisse du renseignement, du soutien logistique (qui représente 65% de leur activité en Irak, selon le CRS), voire d’une protection rapprochée qui navigue dans des failles langagières. En Irak, Geos ou Anticip se contentent ainsi d’assurer la sécurité des investisseurs français.

Néanmoins, la donne pourrait changer avec la nomination d’un préfet chargé d’encadrer l’ensemble des activités liées à la sécurité privée. La création d’un tel poste réglementerait non seulement l’action des vigiles et autres personnels de sûreté, mais aussi celle des employés de SMP.

Au revoir SMP, bonjour SSE

Ces tentatives de régulation signifient-elles que la France tourne le dos aux initiatives américaines? Non. Il y a quelques semaines, Georges Malbrunot soulignait la montée en puissance des sociétés militaires privées françaises, tout en révélant les desiderata du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), extraites d’un document confidentiel:

La participation à des actions offensives ou de renseignement actif doivent être strictement prohibées [...] Organiser en le réglementant un marché aujourd’hui “sauvage” [...] Bannir le terme “militaire” (Société de Sécurité Extérieure)

Moins que l’existence de sociétés comme Gallice (dont le patron, Frédéric Gallois, est l’ancien patron du GIGN), c’est l’amalgame qui pourrait exister dans l’opinion publique entre armée et secteur privé qui inquiète les stratèges français. Dans les hautes sphères de la Défense, on se féliciterait d’ailleurs du potentiel de reconversion des Sociétés de sécurité extérieure pour les anciens militaires et autres légionnaires.

Pour autant, cet enthousiasme de façade ne saurait masquer les puissants rapports de force qui opposent partisans et détracteurs de l’option privée. Dans une lettre d’information spécialisée, Pierre-Antoine Lorenzi, P-DG d’Amarante, une “société privée de prestation de services militaires et de sécurité” (l’appellation de l’ONU), réagit aux propos de Bruno Delamotte, patron de Risk&Co, une autre entreprise du même secteur. Relayée sur le blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet, sa diatribe montre au grand jour la tension du débat:

Quelle mouche a donc piqué le Président de Risk & Co pour fustiger ceux qu’il qualifie de “marchands de peur face au risque terroriste”? Habitués que nous sommes à ses prises de position aussi surprenantes qu’excessives, nous aurions pu en sourire s’il n’était question sous sa plume courroucée de la vie de nos otages au Sahel et de la sécurité de nos ressortissants expatriés. En effet, n’en déplaise à notre apprenti pamphlétaire, il ne s’agit pas, face au risque terroriste et aux menaces d’AQMI, de se prémunir contre la peur mais de se protéger contre la mort!

Interrogé par Slate.fr sur la perspective d’une armée privatisée, le général Neveux, qui a coordonné l’opération Artémis en République Démocratique du Congo en 2003, se montre au mieux circonspect, au pire hostile:

La force ne peut trouver sa raison d’être que dans un objectif politique, ce n’est pas une finalité en soi, mais un instrument au service d’une société démocratique. La force armée est de nature régalienne, apanage de l’État. Personne ne remet en cause le contrôle absolu de l’État

Dans la pensée du sociologue allemand Max Weber, le “monopole de la violence” d’un État s’exerce par la légitimation de cette violence afin de renforcer l’ordre en son sein. En l’externalisant auprès d’entreprises dont on ne peut identifier l’uniforme, le gouvernement américain a peut-être abandonné le principe régalien profondément républicain prôné par le général Neveux. La France suivra-t-elle le même chemin?

Télécharger l’illustration de Une en haute définition

__

Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army, DVIDSHUB

]]>
http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/feed/ 40
Les sociétés militaires privées, l’Etat sans le droit http://owni.fr/2010/11/02/les-societes-militaires-privees-letat-sans-le-droit/ http://owni.fr/2010/11/02/les-societes-militaires-privees-letat-sans-le-droit/#comments Tue, 02 Nov 2010 14:27:08 +0000 Jérôme Larché http://owni.fr/?p=34460 La diffusion récente par le site web WikiLeaks et son fondateur Julien Assange – devenu en quelques mois la bête noire des autorités américaines et australiennes – de 400.000 documents classifiés sur les pratiques de l’armée américaine et irakiennes, ainsi que sur celles des sociétés militaires et de sécurité privées en Irak soulève à nouveau de nombreux débats.

On peut s’interroger sur le paradigme de le transparence prôné par WikiLeaks, et qui paraît parfois orienté, mais toujours est-il que ces documents nous questionnent sur l’opacité des conditions de contractualisation de ces entreprises avec les Etats, ainsi que sur le déficit inacceptable de régulation et de redevabilité qui entoure leurs activités et dont elles ont jusqu’à présent largement bénéficié, aussi bien sur le plan financier que juridique.

Ces révélations interviennent au moment même où le Président Karzaï a réitéré, lors du Conseil de sécurité afghan, sa ferme intention d’interdire les activités des sociétés de sécurité privées sur l’ensemble du territoire afghan.

Le “nouvel eldorado” irakien des SMP

On compte aujourd’hui plus de 50 SMP (sociétés militaires privées, ndlr) en Irak, employant environ 30.000 personnes. Un rapport récent a montré que sur un nombre total de 113.911 contractors, 58% d’entre eux étaient affectés à des tâches de support logistique, tandis que 11% d’entre eux (soit plus de 12 000) se chargeaient de tâches de sécurité (et par là même, participaient occasionnellement aux combats).

Si le nombre total de contractors a diminué en Irak, du fait du désengagement progressif de l’armée américaine et des troupes de la coalition, la proportion affectée à des tâches de sécurité a, quant à elle, progressé de 38%. 26% seulement des contractors en Irak sont des “nationaux“, alors qu’ils représentent plus de 75% en Afghanistan. Cette “afghanisation des milices privées” a été conceptualisée sur le terrain irakien par le Général Raymond Odierno, qui affirmait que “l’emploi des irakiens, non seulement permet d’économiser de l’argent mais renforce aussi l’économie irakienne et aide à éliminer les causes de l’insurrection – la pauvreté et le manque d’opportunités économiques“.

Une intégration difficile aux stratégies militaires des Etats engagés

Comme en Irak, la stratégie contre-insurrectionnelle prônée par l’administration américaine et la coalition otanienne en Afghanistan a prôné d’emblée l’utilisation de forces militaires privées, y compris des milices tribales reconverties secondairement en SMP locales. La complexité des situations dans lesquelles ces SMP sont actuellement employées est renforcée par la mauvaise intégration de ces dernières dans les chaînes de commandement militaire, et par les frictions générées avec les soldats “réguliers“.

En Irak comme en Afghanistan, les Rambo sont légion et leurs faux pas peuvent avoir des conséquences délétères non négligeables. En Irak, l’armée américaine a ainsi dû faire face pendant le soulèvement des miliciens d’Al-Sadr à des défections brutales de contractors, qui ont préféré fuir ces situations jugées trop dangereuses. Le recrutement de ces nouveaux mercenaires peut également s’avérer très hasardeux. Ainsi, la société Blackwater (qui s’appelle Xe aujourd’hui) a pu employer des militaires chiliens, anciens membres des commandos formés sous la dictature d’Augusto Pinochet.

Des pratiques opaques de contractualisation

La privation et l’externalisation s’inscrivent aussi dans une démarche de réduction et de rationalisation des coûts. Un rapport du Government Accountability Office (la Cour des Comptes américaine) a montré, qu’entre 2007 et 2008, plus de 5 milliards de dollars ont été versés pour les contractors (et USAID, qui lui-même contracte pour plus de la moitié de ses financements) en Afghanistan quand, pour la même période, 25 milliards de dollars l’ont été pour l’Irak.

Cependant, les conditions d’attribution de ces marchés publics ont parfois été très opaques, mettant en évidence une possible collusion entre membres de l’administration américaine de G.W. Bush et le complexe militaro-industriel. L’exemple le plus visible a été celui du vice-président américain, Dick Cheney, ancien directeur de la société Halliburton, dont la société Kellogg Brown and Root (KBR) est une des filiales, et à qui a été confiée la gestion de toutes les infrastructures américaines en Irak, pour des contrats de plusieurs milliards de dollars.

D’ailleurs, le gouvernement Obama vient d’engager des poursuites judiciaires contre le groupe KBR pour ses coûts en Irak, mais aussi pour avoir illégalement engagé et armé des sous-contractants.

En prenant l’Irak pour exemple, il est aisé de constater que la plupart des contrats ont été rédigés sous le sceau du secret, la plupart du temps sans appels d’offres, et ce basé sur les procédures d’exceptions de la loi fédérale de régulation des acquisitions…

Se pose également le problème des conflits d’intérêts entre les différentes parties contractuelles. Un rapport récent du Center for Public Integrity a en effet montré que 60% des SMP ayant bénéficié de contrats de la part du gouvernement américain avaient des employés ou des membres de leur conseil d’administration qui soit avaient servi, soit avaient des liens forts avec les organes exécutifs des administrations républicaine ou démocrate, avec des membres du Congrès des deux partis, ou avec des militaires de haut niveau.

Des dérives opérationnelles préoccupantes

Au delà des aspects financiers, les exemples d’abus et de violations des droits humains commis par les SMP sont nombreux et documentés. En Irak, certains d’entre eux sont devenus symboliques des dérives de violences et d’atteintes à la sécurité humaine liées à l’utilisation des SMP, comme de l’impunité qui en découle.

La fusillade de la place Nisour, le 16 septembre 2007, a fait 16 morts, des civils irakiens tués par des contractors de la société Blackwater, à l’époque. Autre incident relaté, le comportement des membres de la société ArmorGroup, chargée de la surveillance et de la protection de l’Ambassade des Etats-Unis à Kaboul. En juin 2009, une association de vigilance sur les projets gouvernementaux révéla, en effet, de graves et systématiques dysfonctionnements sur le plan contractuel (gardes ivres, nombre insuffisant de gardes, niveau d’anglais insuffisant) mais aussi sur le plan du respect humain (harcèlement sexuel, stigmatisation des gardes afghans, privations de sommeil,…), entraînant des problèmes de sécurité.

Une enquête du sous-Comité du Sénat américain pour la surveillance des contrats menée a pourtant récemment démontré que le Département de la Défense avait renouvelé sa confiance à ArmorGroup jusqu’en juillet 2010, avec une possibilité d’extension du contrat jusqu’en 2012.

Une absence de régulation et de redevabilité

Les dérives des pratiques des SMP, notamment sur les terrains de conflits, paraissent liées à l’absence de régulation effective de leurs activités. Les contractors des SMP, et notamment ceux présents en Irak ou en Afghanistan opèrent théoriquement sous trois niveaux d’autorité légale: 1) celui du droit international humanitaire et des mandats du Conseil de Sécurité des Nations Unies , 2) celui de la loi américaine ou de leur pays d’origine (en fonction des législations existantes), 3) celui des lois domestiques des pays hôtes.

Ce cadre juridique est pourtant insuffisant car les contractors d’Irak et d’Afghanistan ne rentrent pas dans la définition étroite de “mercenaires“, définie aussi bien par le protocole 1 additionnel de 1977 aux Conventions de Genève, que par la Convention du 4 décembre 1989 élaborée sous l’égide des Nations Unies. Le CICR a récemment rédigé un document visant à mieux définir le concept de “participation directe aux hostilités“, élément d’importance pour distinguer notamment les civils combattants et non combattants.

En lien avec des partenaires institutionnels, la Suisse s’est lancée ces dernières années dans une large réflexion sur le sujet des SMP, afin de trouver des pistes d’actions pour mieux encadrer l’activité de ces sociétés militaires privées.

On peut distinguer deux actions en particulier, celle de l’initiative conjointe avec le CICR qui a abouti à la présentation devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 6 octobre 2008, du Document de Montreux. La deuxième initiative importante a permis la promotion d’un Code de Conduite Global à l’attention des SMP, finalisé en janvier 2010, et rédigé en collaboration avec le DCAF et l’Académie du Droit International Humanitaire et des Droits de l’Homme de Genève.

Vers une augmentation des SMP?

D’autres mécanismes, comme une adaptation de la contractualisation, pourraient éventuellement améliorer la redevabilité et le contrôle externe des SMP. La multiplication de crises et de terrains de conflits, le contexte actuel de crise économique et la tendance à la réduction des budgets militaires (notamment en Europe) devraient entraîner une très probable sollicitation accrue aux SMP, comme en Irak, où 7.000 contractors armés vont travailler pour l’administration américaine après le départ des dernières troupes de combat.

En Irak comme en Afghanistan, l’utilisation massive des actions civilo-militaires dans le cadre de stratégies contre-insurrectionnelles, la doctrine des approches intégrées, comme les dommages collatéraux induits par les troupes de l’OTAN et les dérives de certaines SMP sur les populations locales, ont pu participer à l’accroissement d’une perception négative et durable des forces armées de la coalition, mais aussi des occidentaux travaillant dans le secteur de l’aide humanitaire et du développement.

En Irak comme en Afghanistan, les pertes non comptabilisées des contractors permettent surtout de masquer le coût humain réel du conflit, car elles restent largement invisibles pour les citoyens. Les documents de WikiLeaks viennent renforcer cette nécessité de régulation et de contrôle des SMP, même si, au final, l’objectif final de Julien Assange paraît d’une transparence toute relative.

Cet article a initialement été publié sur Youphil

__

Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

]]>
http://owni.fr/2010/11/02/les-societes-militaires-privees-letat-sans-le-droit/feed/ 1