OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La Cnil dispense à la légère l’école http://owni.fr/2012/07/24/la-cnil-dispense-a-la-legere-lecole/ http://owni.fr/2012/07/24/la-cnil-dispense-a-la-legere-lecole/#comments Tue, 24 Jul 2012 14:10:55 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=116678

Le 13 juillet dernier, la Cnil a publié au Journal officiel une délibération dispensant de déclaration les fichiers locaux des établissements scolaires du secondaire du public et du privé. Il s’agit de la 17ème dispense délivrée par l’autorité administrative chargé de veiller à l’application de la loi Informatique et Libertés de 1978. Ces fichiers, aux jolis noms de SACOCHE, PRONOTE, OTM ou CERISE, contiennent un certain nombre de données personnelles sensibles :

nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, adresse, adresse électronique de l’élève fournie par l’établissement, nombre de frères et sœurs scolarisés, et, à titre facultatif et uniquement si l’intéressé y consent : la nationalité (uniquement en vue de l’établissement par le ministère de traitements statistiques anonymes), l’adresse électronique personnelle de l’élève, le numéro de téléphone portable de l’élève. [...]

Scolarité de l’élève : établissement d’origine, classe, groupe, division fréquentés et options suivies pendant l’année scolaire en cours et l’année scolaire antérieure, année d’entrée dans l’établissement, diplômes obtenus, position (non-redoublant, redoublant, triplant), décision d’orientation et décision d’affectation, notes, acquis au sens du décret n° 2007-860 du 14 mai 2007 relatif au livret personnel de compétences, noms des enseignants, absences, sanctions disciplinaires, vœux d’orientation ;

“Une consultation rapide des autres dispenses fait apparaître le contraste entre le champ couvert par la 17ème dispense par rapport aux autres, note un membre du Collectif national de résistance à Base élèves (CNRB), qui s’oppose au fichage des élèves : le fichier électoral des communes, les listes de fournisseurs d’une entreprise, liste des abonnés à une revue, liste des chambre d’hôtes, etc. Tout ceci me semble anodin quant aux contenus donc aux atteintes possibles à la vie privée et aux libertés. Certes, tout ceci ne doit servir qu’en interne aux établissements mais quand même.”

Toutes ces données iront ensuite alimenter des fichiers nationaux dont le très polémique BE1D (base élèves premier degré). Interrogée par Owni, la Cnil a répondu qu’elle n’y voyait pas de problème :

Jusqu’à l’adoption de cette dispense, les établissements scolaires devaient adresser une déclaration à la CNIL qui donnait lieu à l’envoi d’un récépissé après vérification du caractère complet du dossier. Cela générait un flux important pour la CNIL sur des traitements connus par elle et soulevant peu de problématiques juridiques.
Dès lors, la CNIL a souhaité adopter une dispense actualisée et pédagogique, qui responsabilise davantage le responsable de traitement en cas de contrôle, pousse les chefs d’établissements à vérifier avec plus d’acuité s’ils entrent ou non dans le cadre de ladite dispense, que ce soit en termes de données traitées, de destinataires ou de sécurité.

5 contrôles sur 11 300 établissements

Pourtant, la sécurité des fichiers scolaires a récemment été remise sur en cause. On avait pu voir trainer sur Internet des données nominatives sensibles tirées des dossiers AFFELNET d’affectation dans les collèges et les lycées, extraits de SCONET et BE1D :

Une fuite qui devrait inciter la Cnil à une vigilance renforcée. Interrogée à ce sujet, elle réaffirme la responsabilité des chefs d’établissement :

Être dispensé de déclaration n’exonère les établissements d’aucune de leurs obligations au titre de la loi informatique et libertés. En particulier, ils sont tenus de garantir la sécurité des données. Une série de contrôles a été effectuée en début d’année 2012 auprès de 5 collèges et lycées en ce sens.

Une responsabilisation qui amuse bien le membre du CNRBE :

C’est peu de dire que la loi “Informatique et Libertés” est peu connue des directions d’établissement (et même des rectorats). Jusqu’à cette dispense, je serais curieux de savoir combien de déclarations ont été faites par des établissements ou des rectorats, elles doivent être très rares. Dans ce contexte, la lecture rapide de la 17 va les confirmer dans l’idée qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Par exemple, communiquer des listes d’élèves selon leur adresse et leur établissement et leur classe au Conseil général pour organiser le transport scolaire. Ce n’est qu’implicitement que la 17 dit qu’elle ne s’applique pas à une telle fourniture : qui va le voir ?

Nous avons demandé à la Cnil le résultat du contrôle des 5 établissements, sur les quelque 11 300 que compte la France dans le secondaire, et sa réponse semble corroborer ces craintes :

Les contrôles menés en début d’année auprès de plusieurs collèges et lycées ont conduit la Commission à constater certaines insuffisances concernant :

- les formalités préalables que ces établissements doivent accomplir auprès de la CNIL ;
- l’information des élèves et de leur représentant légaux sur le traitement de leurs données et les droits dont ils disposent ;
- les mesures mises en œuvre par ces établissements pour assurer la sécurité des données traitées.

Il est vrai que les fichiers scolaires ne semblent pas la priorité de la Cnil. Ainsi, Base élève premier degré avait fonctionné plus d’un an sans attendre la délivrance du récépissé de la déclaration auprès de la Cnil, de 2004 à 2006, comme l’avait détaillé le Conseil d’État dans sa décision du 19 juillet 2010, suite à sa saisine par le CNRBE. Et le conseil des sages avait jugé excessive la durée de conservation de 35 ans des données dans Base Nationale des Identifiants Elèves (BNIE), un base nationale qui rassemble les immatriculations uniques de chaque élève depuis son entrée dans le système scolaire. Initialement, le ministère de l’Éducation nationale (MEN) souhaitait qu’elle soit de 40 ans, la Cnil avait tiqué, le MEN avait donc proposé 35 ans. Cette fois-ci, la Cnil n’avait plus tiqué.


Photo par ubiquity-zh (CC-BY-NC)

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Fichiers élèves: le CNRBE appelle les parents à faire encore valoir leur droit d’opposition http://owni.fr/2010/10/31/fichiers-eleves-le-cnrbe-appelle-les-parents-a-faire-encore-valoir-leur-droit-dopposition/ http://owni.fr/2010/10/31/fichiers-eleves-le-cnrbe-appelle-les-parents-a-faire-encore-valoir-leur-droit-dopposition/#comments Sun, 31 Oct 2010 15:46:35 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=32723

Finies les fiches à la papa ?

Pour le ministère de l’Éducation nationale, c’est plié : il a bien mis ses fichiers élèves “base élèves premier degré” (BE1D) et “base nationale des identifiants élèves” (BNIE) en conformité, comme il l’explique dans ce communiqué de presse publié il y dix jours. Saisi voilà deux ans par deux membres du Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE), Vincent Fristot, un parent d’élève, et Mireille Charpy, une ancienne directrice d’école, soutenus par des syndicats (PAS 38 UDAS et SNUipp 38) et la Ligue des Droits de l’Homme, le Conseil d’Etat avait en juillet dernier taclé le ministère sur certains points. Dans sa décision, le Conseil d’État l’enjoignait de faire des modifications pour être en règle avec la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978. C’est donc chose faite annonce le ministère, qui souligne que le Conseil d’État en a “validé l’économie générale”. Pour lui, il n’existe donc désormais plus de raisons légitimes d’exercer son droit d’opposition : “L’utilisation de ces bases est donc à ce jour tout à fait régulière”. L’adjectif légitime est ici primordial puisque c’est la condition sine qua non pour faire valoir ce droit, stipule la CNIL.

Sans même attendre cette annonce,  une note du 7 octobre de la directrice des affaires juridiques du ministère de l’Éducation nationale (MEN) enjoignait déjà les recteurs d’académie, les inspecteurs d’académie et les directeurs des services départementaux de l’Éducation nationale la consigne de refuser les demandes d’“opposition de parents d’élèves à l’inscription de données relatives à leur enfant dans ‘base élève 1er degré’”, avançant ce même argument d’absence de « motifs légitimes ».

Créé officiellement par arrêté ministériel le 20 octobre 2008, ce fichier a été généralisé à la rentrée 2009, après une phase expérimentale de quatre ans. Il permet selon le ministère “la gestion administrative et pédagogique des élèves de la maternelle au CM2 dans les écoles publiques ou privées.” Suite à l’action du CNRBE, les données sensibles avaient été évacuées en 2008. Son grand frère, le BNIE, est un répertoire des numéros uniques attribués aux élèves lors de leur première inscription “pour faciliter la gestion administrative des dossiers tout au long de leur vie scolaire”. Après la décision du Conseil d’État, la durée de conservation des données après la fin de la scolarité est passée de 35 à 5 ans.

Les arguments à avancer aux parents prémâchés

Dans ce long courrier sont détaillés les arguments à opposer aux parents qui feraient cette demande. Mais il oublie de préciser que la décision du Conseil d’État rétablissait aussi le droit d’opposition sur “base élève 1er degré”, comme le relève le CNRBE, mais aussi la CNIL, sur sa fiche pratique

En dépit de cette annonce, le CNRBE estime que le dossier des fichiers n’est pas clos. Dans un communiqué publié hier, elle souligne de nouveau que le droit d’opposition est rétabli, déplorant que le ministère n’informe pas à ce sujet.De fait, son dernier communiqué n’en fait pas mention. Elle soutient également que la Base élèves continue illégalement d’être mise en relation avec d’autres fichiers. Le collectif regrette aussi l’absence d’acte officiel publié sur la BNIE, en dépit de sa taille (potentiellement 14 millions de fiches d’élèves). La création d’un “répertoire national des identifiants élèves et étudiants (RNIE) pour 2011 serait aussi à l’ordre du jour, dénonce-t-il. Et si les données sensibles ont été supprimés, le CNRBE pointe la mise en place d’un “livret de compétences”, “sans débat ni concertation”, de fichiers de “suivi particulier” et de “la géolocalisation des adresses entrées dans les Bases élèves académiques”. Enfin, le MEN utiliserait toujours ces traitements de données à caractère personnel pour les recherches d’enfant.”

Pour toutes ces raisons, le CNRBE appelle les parents à faire valoir leur droit d’opposition et continue de demander la suppression des fichiers incriminés. Elle demande aussi l’annulation des sanctions prononcées à l’encontre des directeurs d’écoles qui refusent ces fichiers (retrait de la fonction, blâme, mutation d’office…). En septembre, on en comptait plus de 200 qui avait répondu à l’appel du collectif demandant la suppression de Base élèves.

On pourra toujours arguer que ces fichiers ne font que rationaliser une pratique jusqu’à présent artisanale : qui dans sa scolarité n’a jamais rempli une fiche avec ses coordonnées, le nombre de ses frères et sœurs, les retards scolaires, les éventuels problèmes familiaux… ? Quel élève à la mauvaise réputation n’a jamais fait l’objet de commentaires entre professeurs ? L’informatisation des données instaure de fait une “traçabilité” systématique et sans faille. Enfin en principe… Et c’est finalement peut-être plus une question de principe : quel visage souhaitons-nous donner à l’école ? Remplit-elle mieux sa fonction avec ses froids fichiers ? Ou reste-t-on entre humains ?

Une annonce officielle laborieusement obtenue

Pour l’anecdote -révélatrice ?-, mettre la main sur le communiqué de presse indiquant que la mise en conformité avait été effectuée n’a pas été une partie de plaisir. Avant qu’il ne soit publié, le MEN avait simplement diffusé un CP diffusé dans la foulée du jugement du Conseil d’État annonçant juste son intention de se mettre en règle. Comme la note du 7 octobre indiquait, entre autres arguments, que “le ministère a procédé à l’ensemble des régularisations requises par les décisions du Conseil d’État”, nous sommes allés nous enquérir de preuves plus consistantes. Réponse du service de presse, sur le ton de l’aboiement : “Comment ça une preuve, mais puisqu’on l’a dit qu’on allait se mettre en conformité !”. Circulez, y a rien à lire, à part les bonnes intentions.

Nous expliquons calmement par mail au MEN que c’est un peu léger comme justification, sur un mode (gentiment) comminatoire, le ministère ayant plutôt privilégié l’opacité sur ce dossier. Sur le web aussi il y a des délais de bouclage, merci de répondre d’ici jeudi soir. Coup de fil dans la foulée, ton nettement plus aimable : “Il y a un communiqué en projet, je ne peux pas vous en dire plus, vous savez, entre le temps de l’annonce et la réalisation effective… On vous tiendra au courant par mail, et je vous appellerai.” Comme par miracle, il tombait quelques heures après.

Photo FlickR Knile

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Le fichage des élèves s’inscrit au programme http://owni.fr/2010/09/02/le-fichage-des-eleves-sinscrit-au-programme/ http://owni.fr/2010/09/02/le-fichage-des-eleves-sinscrit-au-programme/#comments Thu, 02 Sep 2010 14:02:49 +0000 Jerome Thorel http://owni.fr/?p=26505 Le 6 août dernier, les accès à la plus large base de données sur l’enfance jamais créée au Royaume-Uni, “Contact Point”, ont été coupés. Il ne s’agit pas d’un piratage ou d’une mauvaise blague de hackers. C’est le nouveau gouvernement libéral, au pouvoir depuis la fin du mois de mai, qui a décidé d’euthanasier ce fichier, six ans après sa création.

Mettre fin à un fichier tentaculaire, en ces temps de frénésie orwellienne et de disette budgétaire, c’est l’exception qui confirme la règle. Car ailleurs en Europe, des tentatives similaires existent pour créer, au niveau local ou national, des « fichiers de la jeunesse ». Ces registres ne sont pas forcément liés à la scolarité, parfois ce sont les services d’aide à l’enfance qui forment le premier maillon du fichage étatique. Mais la tendance est clairement de s’immiscer au plus tôt dans la vie des enfants pour repérer ceux qui s’écarteront du « droit chemin »…

En France, l’exemple britannique fait des jaloux. Le CNRBE, un collectif d’enseignants, de citoyens et de parents opposés au fichier “Base élèves” (valable dans les écoles primaires), a gagné une bataille en juillet devant le Conseil d’État. Mais pas question que l’Éducation nationale débranche Base élèves… Le ministère devrait opérer de simples réajustements règlementaires pour répondre aux critiques du Conseil d’État.

En Grande-Bretagne, Contact Point est la première victime des promesses vertueuses du nouveau pouvoir. Dès son premier discours, le vice-Premier ministre Nick Clegg jurait d’en finir avec la « société de surveillance » si décriée dans la patrie de George Orwell. Contact Point, qui recense les dossiers individuels de 11 millions d’enfants (de leur naissance à 18 ans), n’a jamais vraiment convaincu ni les professionnels, ni les usagers.

Imaginé dès 2001 par le gouvernement de Tony Blair, sa ministre de l’Éducation, Margaret Hodge (devenue plus tard « ministre de l’Enfance »), lancera l’application en 2004. Appelé à l’origine « Universal Child Database », Contact Point a été maintes fois critiqué autant par les défenseurs de la vie privée que des services sociaux.

Si le gouvernement est parvenu à faire passer la pilule, c’est sans doute grâce à un fait-divers crapuleux. En 2000, une petite fille de 8 ans, Victoria Climbie, est retrouvée morte après avoir subi violences et actes de torture. Sa tante et son compagnon seront reconnus coupables en février 2003. Quelques jours avant le verdict, un rapport d’inspection concluait à d’énormes lacunes dans l’aide à l’enfance : la petite Victoria avait été vue et entendue par une foule de médecins et d’assistantes sociales sans que personne n’ait rien repéré. « L’affaire Victoria Climbie a clairement permis au gouvernement d’étouffer ces critiques », analyse Terri Dowty, directeur de l’association Action on Rights for Children (ARCH).

« Contact Point avait deux finalités : recenser les besoins éducatifs et médicaux de chaque enfant, et signaler les cas de maltraitance », précise-t-il . On y trouve des données d’état-civil, ceux des parents, et les contacts de l’enfant avec tous les services sociaux — santé, éducation, protection de l’enfance… N’importe quel praticien (du dentiste à la nounou) y était mentionné. Mais finalement, constate Dowty, la mission « protection de l’enfance » a été délaissée… « La faible proportion d’enfants réellement en danger (0,26% du total) étaient noyés dans un océan de données insignifiantes… C’était comme trouver une aiguille dans une botte de foin !» D’autant que depuis le lancement de Contact Point, « les services d’inspection ont rapporté une hausse des cas de négligence de la part des agents de la protection de l’enfance ».

Dans le même temps, les services sociaux ont dû essuyer de larges coupes dans leurs effectifs. « L’argent dépensé dans les bases de données s’est fait au détriment du personnel. Conséquence, il y a une pénurie de travailleurs sociaux qualifiés dans la protection de l’enfance. On estime qu’il nous manque des milliers de spécialistes et 40% des agents actuels disent être débordés par un trop-plein de dossiers à traiter. »

Contact Point a déjà son remplaçant

La fin programmée de Contact Point ne serait pourtant qu’une illusion. Terri Dowty explique qu’une autre application fait surface : « National eCAF » (National electronic Common Assessment Framework). Son rôle est à peu près identique à celui de Contact Point, la protection de l’enfance en moins : un dossier individuel sur chaque enfant pour gérer ses liens avec les services sociaux. Déjà effectif sous forme papier au niveau local, le projet est de numériser les procédures et de créer une seule base centrale. « Un système national n’est pas du tout justifiée. eCAF, pour nous, est la prochaine cible de nos préoccupations », testé depuis mars 2010. Soit juste avant l’arrivée de la nouvelle coalition, qui n’en a pas dit un mot depuis sa prise de fonction…

Dans une récente note, ARCH s’inquiète du caractère discriminatoire de ce fichier. « Le mot « approprié », conçu pour faire passer des opinions subjectives comme de simples observations, apparaît 21 fois. Ainsi un praticien devra dire si l’enfant a des « relations amicales appropriées », s’il a un « comportement appropriée », ou si ses parents ont une sensibilité ou un sens affectif « approprié »… »

En Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas, on est sur la même longueur d’ondes. En 2007, les Big Brother Awards autrichiens ont distingué la ministre de l’Éducation de l’époque, Claudia Forger (sociale-démocrate), à l’origine d’une base de données scolaires qui, comme la Base élèves en France à ses débuts, prend prétexte d’assurer un « suivi pédagogique » pour recenser des données plus sensibles comme les exclusions d’école, les préférences religieuses, les besoins de soutien scolaire Le tout alimenté par un identifiant unique analogue à notre « numéro de sécu ».

Aux Pays-Bas, on se rapproche de l’usine à gaz Contact Point, avec un « fichier électronique de l’enfant », qui mélange allègrement cas de maltraitance, données sociales, médicales (dont l’usage de drogues ou leur santé mentale…) et compétences professionnelles… Un fichier dont la gestion a été confiée à un grand « ministère de la Jeunesse et de la Famille » et qui est, lui aussi, d’envergure nationale.

Le fichage organisé au niveau des Länder en Allemagne

En Allemagne, les tentatives de créer un identifiant unique, au niveau fédéral, se sont pour l’instant heurtées à une opposition institutionnelle : l’éducation est la compétence exclusive des Länder. « Mais chaque Land, l’un après l’autre, est en train de créer son propre fichier des élèves centralisé », constate Susanne Heß, juriste et membre de l’association de défense des données personnelles FoeBud.

C’est la ville-État de Hambourg qui a ouvert le bal, en 2007. Sa ministre de l’Éducation, Alexandra Dinges-Dierig, est devenue célèbre pour la création du «Schülerzentralregister» (registre central des élèves). Le « suivi pédagogique » avait bon dos, car ce registre a été utilisé pour traquer une famille en situation irrégulière. « La recherche d’enfants sans papiers est l’une des finalités du [registre central], comme le parti démocrate chrétien (CDU) de Hambourg l’avait demandé » accusait la FoeBud en 2007 (lire une version française sur le site de la LDH de Toulon)

Dernière région à succomber : la Bavière. Une loi votée le 19 mai dernier oblige toutes les écoles à mettre leurs propres fichiers accessibles aux autorités régionales. L’idée d’un identifiant unique pour tout élève bavarois a pour l’instant capoté.

À Berlin (ville-État comme Hambourg), un tel fichier scolaire existe depuis 2009, mais les choses prennent une tournure plus policière. La ministre de la Justice du Land, Gisela von der Aue, exige que le registre scolaire puisse servir à détecter la fraude et prévenir la délinquance juvénile. Même si les forces de police n’ont pas (encore ?) d’accès direct au fichier… Dans le Brandebourg, un état de l’ex-RDA (proche de Berlin), en mai 2010 les autorités ont lancé un chantier similaire pour une mise en place à la rentrée 2012.

« Les arguments pour justifier ces fichiers sont toujours les mêmes : réduire les coûts et la paperasse, optimiser les ressources, tout en vérifiant l’assiduité scolaire », poursuit Susanne Heß. « Mais ces fichiers contiennent des infos sensibles comme leur origine ethnique, les langues pratiquées ou leurs préférences religieuses… »

Ces arguments sont exactement ceux déployés, depuis cinq ans, par le ministère français de l’Éducation pour “vendre” Base élèves aux citoyens. Les garde-fous sont trompeurs. Le CNRBE regrette, comme ici en avril dernier, de ne pas être assez soutenu par la CNIL, l’autorité de protection des données, qui n’a jamais daigné contredire le ministère sur la base élèves. Par exemple sur la question du consentement des parents : pour la Commission, “l’école est obligatoire, alors le fichier l’est aussi”. Sur ce point et bien d’autres, le Conseil d’État, dans son jugement de juillet, a donné raison aux opposants en rétablissant ce “droit d’opposition”. Une brèche dans laquelle le collectif n’a pas manqué de s’engouffrer en publiant le 31 août un modèle de lettre d’opposition que les parents d’élèves pourront remettre au directeur d’école le premier jour de la rentrée.

Merci à Susanne Heß pour son aide précieuse.

Pour compléter :

À propos du système « eCAF », une vidéo de l’ONG ARCH (en anglais)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Crédit images CNRBE (droits réservés) et CC Flickr Tim Morgan ; grande une Elsa Secco Creative Commons

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Le fichage des élèves vanné au Conseil d’Etat http://owni.fr/2010/07/03/le-fichage-des-eleves-vanne-au-conseil-detat/ http://owni.fr/2010/07/03/le-fichage-des-eleves-vanne-au-conseil-detat/#comments Sat, 03 Jul 2010 08:46:01 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=21032

Déjà critiqué par l’ONU, le fichier Base Élèves vient d’être une nouvelle fois remis en cause lors d’une audience publique qui s’est déroulé mercredi dernier au Conseil d’État. Cette audience constituait la première étape d’un recours en annulation engagé par deux Isérois, Vincent Fristot, un parent d’élève, et Mireille Charpy, une ancienne directrice d’école, soutenus par des syndicats (PAS 38 UDAS et SNUipp 38) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Comme tous les membres du collectif national de résistance à Base Élèves (CNRBE) parents d’élèves, professeurs, syndicats…, ils s’inquiètent des dérives du fichage scolaire, en l’occurrence les fichiers ministériels « Base élèves premier degré » (BE1D) et la « Base nationale des identifiants élèves » (BNIE), mis en œuvre en 2004, auxquels les directeurs d’école ne peuvent déroger sous peine de sanctions. Ils ont donc décidé de tenter de les faire invalider. Le résultat de cette audience les conforte dans le bien-fondé de leur démarche, en mettant à mal les louables intentions affichées officiellement :

“L’application informatique ”Base élèves premier degré” permet la gestion administrative et pédagogique des élèves de la maternelle au C.M.2 dans les écoles publiques ou privées. Elle facilite la répartition des élèves dans les classes et le suivi des parcours scolaires et améliore le pilotage académique et national.” [Elle] “ne comporte pas d’informations sur la nationalité et l’origine des élèves et de leurs responsables légaux, la situation familiale, la profession et la catégorie sociale des parents, l’absentéisme, les besoins éducatifs particuliers, la santé des élèves, les notes et les acquis de l’élève”

A contrario, le rapporteur public a en effet énoncé plusieurs points allant dans le sens du collectif :

Demande d’annulation de la décision initiale de créer BE, mise en œuvre prématurée avant récépissé de la CNIL, collecte illégale de données sur la santé, annulation de l’interdiction du droit théorique d’opposition des parents, caractère « excessif » de la durée de conservation des données de la Base Nationale des Identifiants Elèves (35 ans)

Toutefois, les opposants reste prudent : “Le « rapporteur public », en droit administratif, est un magistrat qui « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent». À ce stade, ses conclusions ne présagent donc en rien des décisions finales du Conseil d’État — qui devraient être connues d’ici environ trois semaines. D’autant que certaines de ses conclusions proposent de donner un délai de quatre mois au ministère de l’Éducation pour essayer de régulariser la situation.”

En clair, le Conseil d’État n’est pas obligé de suivre ce jugement sévère et peut opter pour la clémence. Ou l’invalidation n’est pas forcément suivie d’un nouveau texte totalement satisfaisant, comme le rappelle, dubitatif, un proche du collectif : “Ils nous ont déjà fait le coup avec le fichier ELOI, invalidé puis réécrit, le fichier existe donc toujours.” Cet activisme avait tout de même conduit à une base plus soft. En sera-t-il de même dans ce cas ?

Mireille Charpy voit dans cet avis “une confirmation de l’illégalité des bases, depuis six ans. Ce dossier montre la façon dont sont élaborés les fichiers, dans l’opacité. Si nous n’étions pas allés au bout, les inspecteurs, les académies, auraient continué de dire qu’il n’y avait pas de base nationale. J’espère un sursaut pour que l’on revienne à des données internes aux établissements et à des remontées anonymes pour les statistiques.”

Fichiers d’une ampleur inédite

C’est surtout l’ampleur inédite et les dérives de l’utilisation de ces fichiers qui justifient l’action du collectif : “Il ne s’agit pas de fichiers scolaires mais de fichiers de tous les enfants et de leur famille – et même, des coordonnées de leurs proches- et d’une nouvelle immatriculation qui permet, par le jeu d’un identifiant unique pour 35 ans et de collectes dans différents fichiers, de rassembler un nombre impressionnant de renseignements dès 3 ans, détaille Mireille Charpy. Les dangers de ce fichage sont bien réels puisque les données sont déjà largement exploitées : géolocalisation de toutes les adresses des bases élèves en cours, interconnexions de fichiers avec d’autres administrations, orientation des élèves par des systèmes automatiques, enregistrement électronique des compétences qui comportent, sous la forme 1-0, les connaissances, les manières d’être et donc les difficultés, les incidents de parcours. Ces fichiers conduiront aux CV électroniques préparés par quelques grosses entreprises depuis une dizaine d’années. Nous avons donc pris un tournant considérable dans un fichage dont la Base élèves et cette nouvelle immatriculation des personnes dès trois ans sont les premières pierres.”

En 2008, suite à la mobilisation du CNRBE, des données sensibles -profession et la catégorie sociale des parents, la situation familiale de l’élève, l’absentéisme signalé et données relatives aux besoins éducatifs particuliers- avaient déjà été retirées par le ministre de l’Éducation d’alors, Xavier Darcos. Des corrections insuffisantes avaient expliqué le collectif.

En parallèle de cette action, 2100 parents d’élèves ont porté plainte contre X, la seule procédure possible en l’absence de class action en France.

Au même moment, en Grande-Bretagne, Nick Clegg, le nouveau vice-premier ministre, a annoncé lors de son premier discours de politique générale la suppression de ContactPoint, une base centralisée fichant les 11 millions d’élèves anglais mineurs, annonçant son intention de mettre un terme à la société de surveillance.

À lire : le communiqué intégral du communiqué de CNRBE sur leur site ; Le fichier des enfants préoccupent l’ONU chez Bug Brother ; Quand le fichage des enfants jongle avec la loi chez # numéro lambda #

Image CC Flickr andy in nyc

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