Eric Besson vs les concepts fondateurs du Net

Le 22 février 2011

Comment Bercy s'essuie les pieds sur les principes fondateurs du Net avec son "plan numérique 2012" en passe d'anéantir la neteconomie française et sa créativité. En voici les principaux enjeux, examinés par Bluetouff.

Ndlr : Cet article est à prendre avec du recul suite notamment à la polémique entre Orange, Cogent et Mégaupload. Le 14 février, Octave Klaba, le patron d’OVH annonçait finalement avoir rencontré SFR qui lui a assuré qu’il n’y aurait pas de facturation du peering.

La neutralité du Net semble être un concept de plus en plus fumeux pour les fournisseurs d’accès français. Les débats qui se tenaient l’année dernière à l’ARCEP ne laissaient rien présager de bon, mais après l’affaire Orange / Cogent / Megaupload / reste du monde, aujourd’hui, un nouveau pas semble franchi par SFR pour flinguer un peu plus l’Internet français. Mais est-ce réellement SFR qui tire les ficelles ?

ITespresso qui suit de près le dossier Net Neutrality a consacré un très bon article à cette nouvelle guerre qui oppose les étranges position d’SFR à celles d’OVH, un poid lourd de l’hébergement fraîchement arrivé dans ce monde fou, fou, fou, des fournisseurs d’accès à un Internet que certains voudraient civiliser. C’est par les pixels d’Octave Klaba, fondateur et directeur technique d’OVH qu’a été rendu public ce qui semble bien expliquer une manoeuvre qui dépasse le seul cadre du business entre opérateurs. Est-ce que ce nouvel épisode mettra un terme à l’opacité des politiques de peering qui régissent les relations entre “petits” et “gros” opérateurs ? Rien n’est moins sûr… car ce nouveau malaise puise peut-être ses origines dans cette dimension parallèle que peut être le cerveau de personnes qui se sont mises en tête de réguler un monde qu’il ne connaissent pas.

SFR serait il en service commandé pour le Ministre Besson ?

La question mérite effectivement d’être posée, et Octave Klaba la pose d’ailleurs sans détour sur les forums publics d’OVH. Selon le dirigeant d’OVH, SFR souhaiterait faire payer le peering à OVH. Comme nous vous l’avons déjà expliqué dans ces pages, traditionnellement, le peering se fait par le biais d’accords entre opérateurs et est habituellement gratuit. Certes, certains opérateurs ont bien essayé de faire payer des fournisseurs de contenus lourds (on se souvient par exemple de l’affaire qui opposa en 2007 Neuf Cegetel et Dailymotion), mais entre fournisseurs d’accès dont l’utilisation du peering est raisonnable (OVH héberge principalement des pages Web et non des contenus “lourds” de types vidéo), c’est fort curieux… et de fait, ceci a de quoi légitimer les interrogations d’Octave Klaba.

Plan Grand Comique 2012

En lisant ceci, comme le dirigeant d’OVH, on se doute bien que la vérité est ailleurs. Chose détestable, cette vérité serait la piste Bercy. C’est une fâcheuse habitude que nous avons à Reflets, d’anticiper le consternant résultat de la pseudo gouvernance de Bercy sur l’Internet français.
Le ministère de l’Industrie et des finances est-il en train de devenir une souche cancéreuse de notre Internet ? Ce réseau s’est toujours très bien porté sans l’interventionnisme de l’État. Aujourd’hui, depuis que Bercy met son nez dans les relations entre CDN, opérateurs de contenus et fournisseurs d’accès, nous assistons à une dégradation significative des rapports entre ces différents acteurs. Pire, en décrétant quasi unilatéralement que les opérateurs de service prennent à leur charge le financement du réseau, Éric Besson est juste en train de foutre en l’air un splendide vivier d’emplois.

Nous ne manquerons pas au passage de demander à monsieur le ministre où il en est avec son plan Numérique 2012 dans lequel il promettait non pas monts et merveilles à l’Internet français mais le minimum syndical pour permettre à la France de rester compétitive en termes de création de services numériques à valeur ajoutée.
A savoir, le déploiement du “très” haut débit… un pauvre 100 mégas là où les autres sont en train de déployer du Gigabit. Comble de l’ironie, la situation actuelle, nous l’avions bien anticipée… et à ce stade, croyez nous, avoir raison ne nous fait pas le moins du monde plaisir. Il faut se rendre à l’évidence, Éric Besson est un très mauvais ministre pour le numérique, il n’y est pas à sa place, qu’il conserve les finances et l’industrie s’il le faut véritablement, mais de grâce, qu’il foute la paix à Internet…

La Net économie française en danger ?

Nous risquons de payer cher, très cher, cette attitude irresponsable de Bercy. On en viendrait presque à se demander si ce n’est pas là une vendetta ministérielle suite à l’affaire Wikileaks. On se souvient effectivement qu’OVH hébergeait (il n’était en fait qu’un prestataire technique) Wikileaks en pleine crise des câbles diplomatiques et qu’Éric Besson, sans aucun fondement juridique, avait appelé à ce que Wikileaks ne soit pas hébergé en France. Cette hypothèse est également loin d’être idiote quand on met la met en perspective des appels au meurtre de certains membres du Congrès américains. Wikileaks a fait bien plus que cristalliser des passions, il a été en mesure de réveiller de bons vieux réflexes totalitaristes dans les plus grandes démocraties du monde.

Ce que Bercy semble avoir beaucoup de mal à comprendre, s’il est bien derrière la nouvelle lubie de SFR, c’est que les créateurs de contenus, s’il n’y a plus d’hébergeur compétitif comme OVH en France, iront déséquilibrer un peu plus les liens de transit en allant s’héberger chez des hébergeurs discount dans les clouds de Google ou Amazon. Une fois que ces géants auront aspiré la seule chose dont la France peut encore espérer de s’enorgueillir au niveau numérique (sa créativité), Bercy aura réussi un véritable tour de force : anéantir la Net économie française.

C’est triste d’en arriver là, mais nous préférions presque l’inutilité d’une Nathalie Kosciusko Morizet à l’irresponsabilité et à l’incompétence d’Éric Besson, qui n’hésite pas un instant à s’essuyer les pieds sur les principes fondateurs du Net, sans lesquels “son marché” s’écroulera, à savoir la neutralité du Net et la liberté d’expression condition non négociable du véritable fond de commerce du Net, les “user generated contents”.
Quand ce dernier affirme qu’« Un absolutisme de la neutralité nuirait au développement des services et se retournerait contre l’objectif qu’il entend poursuivre », outre le fait que le ministre prouve ici par A+B qu’il ne sait pas de quoi il parle, il avoue effectivement à demi-mot que la France n’a pas les tuyaux de ses ambitions. Ambitions qu’il a pourtant lui même inscrit dans le marbre avec son plan Numérique 2012… une vaste fumisterie que nous avions déjà dénoncé… en septembre 2009 !

Monsieur Besson SVP, lisez ceci, et prenez le bien directement pour vous.

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Publié initialement sur Reflets.info sous le titre Éric Besson a décidément un peu de mal avec les concepts fondateurs du Net
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Crédits photo via Flickr : Régis Frasseto, cc-by-nc-sa ; Kjd, cc-by-nc-nd ; Don Solo [cc-by-nc-sa]

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